mardi 31 mars 2009

Stand by me


Le pouvoir de la musique sur nos états d'âme : énorme. Tenez, écoutez et regardez par exemple ce montage vidéo à partir de la si célèbre chanson Stand by me :
http://vimeo.com/moogaloop.swf?clip_id=2539741

Si en vous abandonnant un peu, ça ne vous trouble pas, c’est que vous êtes dur(e) à cuire ! Ou pas dans un bon jour. En recevant ce lien part d’un cousin (Merci Damery) et d’un ami (Merci Gilles), j’ai été à chaque fois ému au-delà du prévisible. En y réfléchissant un peu, je me dis que c’est sans doute lié à l’addition de plusieurs facteurs :
message d’amour simple et universel (« stand by me »)
+ partage et solidarité au travers des lieux et des âges
+ balancement doux et simple de cette musique
= états d'âme intenses.
Allez, on se la repasse ?!

PS : les paroles en anglais pour chanter devant votre machine

When the night has come
And the land is dark
And the moon is the only
Light we'll see

No, I won't be afraid
No, I won't be afraid
Just as long as you stand
Stand by me

So darling, darling

Stand by me
Oh, stand by me
Oh, stand
Stand by me,
Stand by me

If the sky that we look upon
Should tumble and fall
Or the mountains should crumble
to the sea
I won't cry, I won't cry

No, I won't shed a tear
Just as long as you stand
Stand by me

So darling, darling

Stand by me
Oh, stand by me
Oh, stand
Stand by me
Stand by me

(ad lib.)


Paroles et Musique : Ben E. King, Jerry Leiber, Mike Stoller (1961).

lundi 30 mars 2009

Peur du vide



La thérapie dont je suis le plus fier ? Avoir aidé ma fille Céleste à surmonter sa peur du vide. J’exagère un peu en parlant de «thérapie», car elle ne souffrait pas d’une vraie phobie, mais d’un bon gros vertige paralysant.
Elle décrit très bien une de nos séances de travail (je rigole…) dans les deux dessins qui accompagnent ce texte. En cliquant dessus, vous pourrez admirer plein de détails délicieux : la moue de peur de Céleste, les fleurs et les oiseaux de la montagne, mes gros biscottos.
Mais le détail le plus intéressant, c’est qu’elle et moi sommes dessinés tout penchés par rapport à l’horizontale : exactement la sensation physique épouvantable que l’on ressent sous l’emprise du vertige. On est tout droit pourtant, mais persuadés par notre corps même que nous allons tomber, tant nous penchons dangereusement vers le vide.
C’est à ça que sert le vertige : de signal d’alarme pour nous rendre prudents face au risque de chute. Mais ce signal d’alarme se dérègle parfois : il faut alors, comme pour toutes nos peurs excessives, ne plus l’écouter à 100% et doucement le régler à la baisse…

vendredi 27 mars 2009

Narcissiques


Les narcissiques s’adorent, se pensent supérieurs aux autres, et se donnent donc des droits supérieurs à ceux du commun des mortels (doubler dans une file d’attente, monopoliser la parole, etc.). Ils ne sont pas aussi sûrs d’eux qu’ils ne veulent s’en convaincre et en convaincre leur public (beaucoup présentent ce qu’on appelle une haute estime de soi instable).
Très agaçants à fortes doses (si on vit ou travaille avec eux,), ils peuvent aussi être très amusants, parfois, ou de loin.
Un jour, un de mes amis, narcissique mais plein d’humour, me téléphonait. Il y avait comme un écho sur la ligne, de mon côté au moins, ce que je lui signale. Il me répond : « - Ah oui, moi aussi, c’est bizarre, j’entends un écho quand je parle. – Ça ne te gêne pas, tu veux qu’on se rappelle ? – Non, non, j’adore entendre deux fois le son de ma voix ! »
On raconte aussi qu’Alexandre Dumas, apparemment narcissique lui aussi, aurait un jour déclaré à propos d’une soirée mondaine un peu terne : « Ma foi, si je n’avais pas été là, je me serais bien ennuyé ! »

Allez, bon week-end, et si vous rencontrez des narcissiques, restez calmes, bienveillant(e)s, ne vous laissez pas trop marcher sur les pieds, et ouvrez bien grands vos yeux et vos oreilles…

PS : l’excellent dessin de l’excellent Muzo est extrait de notre excellent ouvrage commun Petits pénibles et gros casse-pieds, paru aux éditions du Seuil.
PPS : il y a aussi des nombres narcissiques, pour les matheux...

jeudi 26 mars 2009

Esprit de répartie


Je n’ai jamais eu le sens de la répartie. Je ne trouve la formule qui fait mouche que des heures ou des jours après. Aucun « esprit » comme on disait au XVIIIème siècle : je n’aurais jamais pu faire carrière à la Cour. Je le vois bien d’ailleurs, même en République : je ne suis pas à l’aise dans les dîners mondains.

Mais d’autres en ont, de la répartie. Par exemple David, mon prof d’anglais. L’autre jour, il m’a bien fait rire en me racontant l’histoire suivante : c’est dans une bibliothèque où il se rend régulièrement. La bibliothécaire est très à cheval sur le règlement, un peu rigide par exemple sur les horaires. On ne peut plus emprunter de livre un quart d’heure avant la fermeture ; le soir, c’est donc 18h45. Ce jour-là, David passe au comptoir à 18h 46 avec une pile de livres à emprunter sur les bras. La dame lui fait remarquer sèchement qu’il est trop tard. David, qui est brillant et agaçable, sent monter la colère, mais au lieu d’agresser ou d’en rabattre (hérisson ou paillasson) il décoche un trait d’esprit : « You’re depriving yourself of grace ! » (Vous perdez toute votre grâce !)

J’adore et j’admire. Pas de critique directe, négative, sur la mesquinerie du comportement. Mais une critique indirecte, élégante, sur la grâce dont ce comportement prive la personne. Trop fort, trop fin !

Autrefois, je rêvais d’acquérir ce don. Mais c’est trop loin de mes compétences de base. Et trop coûteux : cela suppose d’être toujours réactif, toujours aux aguets, en quête du défaut de la cuirasse de l’autre. Fatigant. Je sais que la friction de l’humour peut faire réfléchir, que sa morsure peut aider à changer autrui. Mais je préfère la gentillesse : c’est peut-être plus lent, mais c’est aussi plus reposant.

PS : où voir le beau tableau qui illustre ce texte ? Cliquez ici...

mercredi 25 mars 2009

Folie, sagesse, efforts

« L’homme sage n’est qu’un composé de molécules folles. »
(Denis Diderot)
Fous en dedans, cohérents au-dehors ; parfois même sages…
Mais quel boulot !

mardi 24 mars 2009

Déferlement négativiste


L’autre jour à Sainte-Anne, avec une patiente que je vois environ deux fois par an. Elle est suivie par une consoeur, mais elle tient à nos consultations de loin en loin, ça la rassure.
En général, nos entretiens se ressemblent : elle me submerge d’un déferlement de propos négatifs, sur elle et le monde qui l’entoure. Je tiens bon, je souris en la recadrant doucement (« vous pensez vraiment que ..? », etc.). Elle ne lâche rien, fait comme si elle ne m’entendait pas et continue ses propos pleins de malheur et de bile. Et effectivement, il lui en arrive pour de vrai des malheurs, elle n’invente rien. Mais elle ne me parle pas de ce qui va correctement dans sa vie.
Puis les cinq dernières minutes, elle baisse la garde et se met à sourire un peu et à relativiser. Et elle me dit que ça lui a fait du bien de discuter avec moi. Elle termine notre entretien allégée, rassurée que je n’ai pas cédé sur l’essentiel : notre existence ici-bas n’est peut-être pas ce qui se fait de mieux, mais ce n’est pas non plus l’Enfer total. Je suis un peu sonné, mais soulagé moi aussi : que ça s’arrête, et qu’elle semble repartir un peu mieux qu’elle n’est arrivée. Et je sais, car elle m’écrit souvent après les consultations, que nos discussions lui font du bien ensuite, dans les semaines et les mois qui suivent.
Mais j’ai mis quelques années à comprendre que nos entretiens avaient un effet-retard : ils ne marchent pas tout de suite ; il lui faut du temps, à ma patiente, pour malaxer nos échanges dans sa tête, et s’en trouver mieux. Au début, ça m’affligeait, j’avais un sentiment d’impuissance, et j’étais crispé, prêt à l’envoyer sur les roses. Puis, j’ai compris ce que je devais faire pour l’aider : rester calme, continuer de bien l’aimer et de le lui montrer malgré les déferlantes, et faire tranquillement le boulot de thérapie cognitive. Toujours croire en elle, ses bons côtés et son intelligence de la vie. Je ne sais pas jusqu’où ça l’aide (car elle ne change tout de même pas beaucoup d’une rencontre à l’autre), mais je ne sais pas faire autrement pour la soulager.
Souvent, lorsque je vois son nom sur la liste des rendez-vous du jour, je soupire (« ça va être dur… »), puis je souris («je suis content d’avoir de ses nouvelles...»), enfin, je repense à la maxime de Pasteur : « guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours ». Mon mantra de thérapeute pour les cas difficiles…

Image : Picasso, Femme qui pleure.

lundi 23 mars 2009

Guérir, vieillir


Jules Renard écrivait dans son Journal : "Maladie : les essayages de la mort". Pauvre Jules, qui est mort jeune d’ailleurs, il devait le sentir venir.
En tout cas, se sentir malade (pas méchamment, une grippe ou une grosse sinusite) déclenche parfois de drôles de pensées.
Depuis quelques années, quand je suis malade, je me sens très vieux. Je me dis que ça doit ressembler vaguement, cet état où on a mal partout, où tout nous fatigue, où on n’a envie de rien que de se coucher sur le flanc et qu’on nous laisse tranquille, que ça doit ressembler au grand âge, à ce qu’on ressent à 90 ans ou 100 ans.
Alors qu’il me semble qu’autrefois, quand je tombais malade, ça me rappelait mon enfance, les jours où on restait au lit sans aller à l’école, trop contents («tiens, là, ils sont en cours de maths ; et là, à la cantine»).
À quel âge ai-je commencé à ressentir la maladie différemment, non comme une récréation, une parenthèse, mais comme une menace ou une répétition générale de mon vieillissement ? Je ne m’en souviens pas du tout.
En tout cas, pour ne pas me morfondre, je me concentre maintenant sur le seul intérêt qu’il y a pour un adulte à tomber transitoirement malade : la jubilation de la guérison. Ne plus avoir le corps fiévreux et douloureux, avoir envie de sortir, de manger, de parler, de s’asseoir au soleil. Tout à coup comprendre charnellement la chance que nous avons d’habiter un corps en état de marche.

vendredi 20 mars 2009

Nouveaux piétons


Il y a, évidemment, toutes sortes de piétons dans cette non-nature qu’est la jungle urbaine.
Les disciplinés, qui attendent pour traverser que leur petit bonhomme passe au vert. Sans histoires.
Les pressés-inquiets, qui traversent parfois alors qu’il vient de passer au rouge, mais qui surveillent les automobilistes du coin de l’œil, leur faisant un petit signe de remerciement pour les dissuader de les écraser, accélérant le pas pour montrer qu’ils se savent en tort et qu’ils ne veulent pas abuser.
Et puis il y a ceux qui s’en fichent, qui traversent au moment où ça les arrange sans un regard pour les voitures qui freinent, ni une oreille pour les coups de klaxon ; ils savent bien qu’on ne va pas les écrabouiller comme ça. Et qu’ils ne risquent rien d’autre que se faire houspiller.
Souvent, ça agace les conducteurs de véhicules, qui en appellent à la perte du respect des lois. Parfois ça m’agace moi aussi, quand je suis en scooter, en retard, que je dois piler, et que je crois voir mépris et arrogance dans l’attitude du piéton hautain qui s’impose à moi en traversant lentement, sans me jeter un regard. Cette « dictature du faible » m’irrite un peu. Il me semble qu’il y a le même abus de pouvoir chez certains piétons d’aujourd’hui que chez certains automobilistes d’hier : la même loi du plus fort, le même sale esprit « pousse-toi que je passe ».
D’un autre côté, je me dis que ce n’est pas grave, et que c’est plus important un piéton qu’une voiture. Et puis, l’autre jour, j’étais de tellement bonne humeur, que je me suis même dit : tu préfères quoi ? Une ville et une société où les piétons ont très peur des autos, et où ils tremblent avant de traverser ? Ou une ville et une société où, finalement, les forts du moment, dans leur tas de tôle, leur machine à tuer, doivent s’incliner devant les faibles ?
Le choix est vite fait, vous ne trouvez pas ?

jeudi 19 mars 2009

Salon du Livre


Samedi dernier, j'étais en "séance de dédicaces" au Salon du Livre de Paris.
J'aime beaucoup ces séances. Je sais bien que cela pèse à certains auteurs, mais c'est tellement agréable de rencontrer ses lecteurs, de bavarder un peu avec eux ! Et tellement plus simple que d'écrire le livre lui-même. C'est un peu comme recevoir les compliments de ses amis à table lorsqu'on a réussi un bon plat pour eux.
Ces dédicaces sont l'occasion de découvrir qui nous lit. Et comment. Cette dame qui me dit avoir lu Les états d'âme en une nuit, tellement elle était emballée. Cet ancien patient, soigné il y a plusieurs années à Sainte-Anne, qui vient me raconter que tout va bien pour lui. Ce couple, dont l'épouse a lu tous mes livres, et dont le mari me dit en rigolant qu'il déteste la psychologie, mais que ça fait du bien à sa femme, alors il lui offre tous mes bouquins.
Toutes ces mini-rencontres (on ne peut pas bavarder trop longtemps, il y a d'autres lecteurs qui attendent) pourraient ressembler à du "speed-meeting" superficiel. Mais en fait, non, il se passe presque toujours un petit quelque chose de touchant. Cette année, c'est cette dame au beau visage, qui s'approche de ma table en boitant fortement (elle souffre d'une maladie de Little) et me raconte comment elle vit au quotidien les entraves que son corps lui impose. Comment elle s'en sort psychologiquement. Comment elle regrette tout de même un peu de ne pas pouvoir faire de vélo. Je me sens tout petit, tout inférieur à elle, et à sa force morale. J'ai un peu honte que ce soit elle qui me demande, à moi, une signature. L'inverse serait plus logique. Mais ça me réjouit de pouvoir l'admirer. Je l'observe repartir en se déhanchant, vers d'autres livres et d'autres auteurs, avec mon stylo en l'air et mes états d'âme tout mélangés de joie et de peine.
Et puis ces signatures nous permettent aussi des rappels à l'ordre de la réalité : ce monsieur à l'oeil énervé qui vient me remonter les bretelles : "dans tous vos livres, vous avez recopié et pompé mot pour mot le programme des Alcooliques Anonymes !". Ou cette lectrice dont je ne comprends pas un traître mot de ce qu'elle me marmonne, mi-compliments mi-reproches : alors je hoche la tête en souriant, et ça lui va tout à fait. Car elle n'est pas venue chercher des réponses, juste me dire ses trucs.
Vivement ma prochaine séance de dédicace, et une nouvelle dose de ces bouffées intensives d'humanité !

mercredi 18 mars 2009

Les pessimistes

Le soleil leur fait penser à la pluie, le matin à la nuit, le dimanche au lundi…
Quelle vie !

mardi 17 mars 2009

Mauvais roi


Lorsqu’on est parent de plusieurs enfants, on a parfois à rendre la justice (comme Saint-Louis le faisait sous son chêne, à Vincennes).
Un jour, deux de mes filles se disputent à propos d’un prêt de livre (« elle ne veut pas me le passer, alors qu’elle n’est même pas en train de le lire ! »).
N’ayant pas assisté à l’échange, je tente d’arbitrer le conflit, en conciliant justice et retour au calme. Puis je rends mon jugement.
Grosse colère alors d’une de mes filles, Louise, qui s’estime lésée. Dans une dernière tentative d’argumentation, elle pointe vers moi un index vengeur, me disant : « C’est injuste ! Tu sais quoi ? Tu aurais fait un très mauvais roi ! »
Elle étudie à l’école l’Ancien Régime et la Révolution Française, et je comprends que la guillotine n’est pas loin. Mais ça marche : embarrassé (ou flatté ?) par la royale comparaison, je la rejoins dans sa chambre, où elle s’est retirée, courroucée. Je lui explique la complexité de ma position d’arbitre, m’excuse pour le sentiment d’injustice que je lui ai infligé, et lui rappelle qu’il fallait bien que je tranche, etc. Grâce à ce dialogue, sa colère retombe, elle rit de mes états d’âme de roi (« tu comprends, je savais que j’allais faire une mécontente, mais je ne pouvais pas vous laisser vous disputer jusqu’à la bagarre : il faut que l’ordre règne dans le Royaume… »). Et moi je suis trop content de cette sortie de crise du côté de l’Histoire plutôt que de la bouderie.

lundi 16 mars 2009

La défaite dans le corps


Le XV de France a pris une sacrée raclée hier à Twickenham, face aux Anglais. Depuis cette Coupe du Monde ratée de 2007, perdue à domicile, le rugby français n'arrive pas à retrouver ses repères. Ça me rend bien triste, mais on ne va pas parler trop longuement de tout ça, ce n'est pas tout à fait le lieu.
Ce qui était étrange, c'est d'avoir observé cette défaite d'un oeil morne : j'étais grippé. Vous savez : les articulations qui brûlent, tantôt trop chaud tantôt trop froid, la tête lourde. Bref, un corps incapable de participer aux émotions : du coup, états d'âme bovins face au match. Pour la première fois je restais calme face à la déferlante des essais anglais. Je trouvais même qu'ils jouaient bien, qu'ils ne la ramenaient pas comme ils font d'habitude pour narguer les français. Bref, je n'étais pas dans mon état normal.
Pour éprouver états d'âme et émotions, il faut un corps vibrant et réactif (ah ! les palpitations cardiaques avant le coup d'envoi !). Pas forcément en bon état (nombre de grands artistes et poètes étaient, ou sont, en mauvaise santé) mais vivant, en phase avec le monde qui nous entoure.
PS : le dessin est extrait du livre rédigé avec l'excellentissime Muzo : Petits complexes et grosses déprimes (voir sur le site http://christopheandre.com, à la rubrique Livres).

vendredi 13 mars 2009

C'est par où, la sortie ?


Un soir à Sainte-Anne. Après une longue consultation, je raccompagne mon dernier patient à la porte du bureau. C'est la première fois qu'il vient : un "primo-consultant" en langage médico-technocratique.
Souvent les pauvres primo-consultants sont perdus à la fin de la consultation : après avoir parlé au psychiatre de tas de choses douloureuses, ils se retrouvent dans un grand couloir dont toutes les portes se ressemblent, et ils ne reconnaissent plus le chemin par lequel ils sont arrivés : pour sortir, c'est à droite ou à gauche ?
Ce patient est très déprimé, très insomniaque. Et aussi très drôle. La dérision lui sert, comme souvent, d'antidésespoir, sinon d'antidépresseur.
Alors - mythologie de Sainte-Anne oblige - à cet instant précis où il ne sait plus vers où aller - à droite ou à gauche ? - au lieu de demander comme vous et moi : "où est la sortie ?", il me regarde de son oeil sombre et rigolard et me dit : "il y a une sortie ?"
J'en ris dans ma tête toute la soirée, et le lendemain encore. Merci cher patient d'avoir en une seconde effacé toute la fatigue de la journée de consultations. Malgré tes propres peines.

mercredi 11 mars 2009

Marlaguette






Cette petite fille sur la couverture de mon dernier livre, c’est Marlaguette. J’aime beaucoup Marlaguette : j’ai lu son histoire à chacune de mes trois filles au moins vingt fois. Je suis donc la personne de la famille qui la connaît le mieux (soixante lectures, avouez…).

C’est une belle histoire : une petite fille qui se ballade dans la forêt se fait attaquer par un gros loup, qui la traîne vers sa caverne pour la croquer. Mais elle ne se laisse pas faire, et dans la bagarre pour la maîtriser, il se cogne violemment la tête et tombe assommé. Pas rancunière, elle le soigne et ils deviennent amis.
Mais un jour, lors d’une promenade, il dévore sous ses yeux un geai qui se moquait de lui. Furieuse, Marlaguette le tance et lui ordonne de devenir végétarien. Par amour pour elle, le loup obéit.
Et évidemment, dépérit. Les loups ne sont pas faits pour la salade (regardez la tête du loup sur la couverture du livre). Il maigrit, il maigrit et s’étiole jusqu’à ce que Marlaguette comprenne enfin. Alors elle le libère. Et elle s’assied sur un tronc d’arbre, à l’orée de la forêt, pour songer un peu à tout ça. Ses états d'âme sont de tristesse et de bonheur mélangés. C’est ce moment précis que représente la couverture. Et je n’ai trouvé aucun dessin montrant aussi justement ce mélange, si typique des états d'âme.

PS : bien sûr, l’histoire peut aussi se lire à un niveau symbolique, celui de la petite femme frêle mais énergique qui domestique, jusqu’à l’aliéner, un bon gros mâle velu. Mais vous l’aviez deviné, n’est-ce pas ?

Énigme


« Si je le fais, tu ne le vois pas.
Et si je ne le fais pas, tu le vois… »

De quoi s’agit-il ? J’ai entendu un jour cette énigme lors d’un congrès de psychothérapie, dans la bouche d’un de mes collègues qui parlait de thérapie de couple (et des plaintes d’une femme envers son mari). La réponse, c’est : le ménage…

Il y a tant de choses comme ça dans nos vies, tant d’efforts invisibles, nécessaires, et jamais (ou presque) reconnus ! Mais ce n’est pas forcément triste ou agaçant. Cela doit juste nous motiver à ouvrir les yeux de temps en temps : sur nos besoins de reconnaissance (« eh ho ! j’existe et j’agis ! »), et aussi sur ceux des autres (voir tout ce qu’ils font et que nous ne voyons plus…).

PS : états d'âme en direct sur LCI aujourd’hui à 11 heures :
http://tf1.lci.fr/infos/communautes/onenparle

mardi 10 mars 2009

Musique et nostalgie


Ah la la ! La nostalgie, c’est quelque chose ! Ce que je n’ai pas raconté dans mon billet d’hier, c’est qu’un des morceaux qui passèrent en boucle lors de la soirée rugby de samedi fut « Toujours un coin qui me rappelle », d’Eddy Mitchell. Du coup, bloqué dans mon crâne pendant deux jours, jusqu’à ce que je me décide à le réécouter pour de vrai. Alors voilà : http://www.dailymotion.com/video/x390t_eddy-mitchell_music

Et n’oubliez pas le meilleur de la nostalgie : certes, tout ça est passé, mais qu’est-ce que c’était bien ! Et comme notre vie aurait été moins belle si nous ne l’avions pas vécu !

PS : nous parlons des états d’âme dans le Magazine de la Santé, ce mardi 10 mars à 13h40. On peut revoir la vidéo (moins fun qu’Eddy Mitchell, mais pas mal quand même) sur : http://www.france5.fr/magazinesante

lundi 9 mars 2009

Nostalgie


Samedi soir, je participe à une grande fête de mon ancien club de rugby parisien (celui où j’ai terminé ma « carrière » de rugbyman, celui où j’ai comme on dit « raccroché les crampons »).
Belle ambiance et beau mélange de vieux et jeunes joueurs. Chansons, bêtisiers, rétrospectives, distribution de prix sur le thème des péchés capitaux (le plus coléreux, pour celui qui rouspète toujours sur le terrain ; le plus avare, pour celui qui tend toujours à garder le ballon trop longtemps au lieu de passer ; etc.).
Plaisir de voir le club continuer de vivre joyeusement dans cet esprit où les troisièmes mi-temps comptent plus que les matches. Et nostalgie de se trouver assis avec les vieux copains, à la table des anciens. Ils me rappellent une de mes phrases restée en mémoire dans l’équipe, que j’avais prononcée à la mi-temps d’un match où des anglais nous avaient administré une sacrée correction : « Les gars, il faut s’aimer ! ». J’étais à l’époque en train de préparer mon premier livre sur l’estime de soi, et nous avions eu tendance à beaucoup subir en première mi-temps : d’où cette invocation à l’amour-propre. Insuffisante, nous avions quand même perdu : l’estime de soi ne peut pas tout !
Puis nous évoquons les amis absents. Et Jean, notre arrière, évoque un ancien pilier de l’équipe mort sous ses yeux sur le terrain : arrêt cardiaque. En racontant la scène, Jean le catalan, Jean le dur, nominé pour le prix de la mauvaise humeur et des engueulades à ses équipiers, cesse tout à coup de parler, et baisse la tête, en larmes. Avec tous les vieux copains autour de lui, un peu gênés. À côté de nous, les petits jeunes chantent et dansent.
La vie, c’est comme ça.

dimanche 8 mars 2009

Book blues


On demande souvent aux auteurs s’ils ressentent, lors de la sortie de leur livre, une sorte de book blues, équivalent du baby blues qu’éprouvent parfois les mamans après l’accouchement. Je n’ai jamais éprouvé cela. Je ressens dans ces moments des états d'âme assez forts et complexes, mais rien qui ressemble au spleen, au sentiment de tristesse et de vide du baby-blues.

Mes états d'âme sont alors davantage un mélange de soulagement, de bonheur, de fierté, et d’inquiétude.

Soulagement, car écrire un livre, c’est beaucoup de travail. Et on est soulagé d’en voir la fin. Je ne sais plus quel auteur racontait qu’il considérait un livre comme terminé non pas quand il estimait que ce dernier était parfait, mais quand il ne pouvait plus supporter de le reprendre, quand il était épuisé. On conclut davantage par épuisement et lassitude que par conviction que le travail est totalement achevé. Dès que le livre revient de chez l’imprimeur, on en voit instantanément les faiblesses et ce qui aurait pu être mieux.

Bonheur, car j’aime bien mes livres. Ils ne sont pas parfaits, mais ils sont sincères. J’y ai toujours mis le meilleur de mes convictions pour aider les lecteurs à y voir plus clair. Et j’ai le grand confort de n’avoir honte d’aucune de mes productions. J’adore ce moment très spécial dans la vie d’un auteur où on tient le premier exemplaire de son livre imprimé entre les mains, on le soupèse, on renifle l’odeur du papier. Et cet autre moment où on fait ce qui s’appelle le « service de presse » : entrer dans une pièce où des piles entières de votre bouquin attendent vos dédicaces pour être envoyés aux journalistes.

C’est gratifiant (on ressent comme une fierté presque incrédule de se dire : « c’est moi qui l’ai fait !? ») et inquiétant à la fois. C’est que c’est inquiet, un auteur ! Au début de l’écriture, il se demande s’il arrivera à faire un livre de toutes ses idées et ses intuitions. Au milieu, il se demande s’il a choisi le bon angle, le bon plan, s’il ne faut pas tout reprendre à zéro (et il le fait, parfois). À la fin, il commence à s’interroger sur l’intérêt et l’utilité de son livre pour ses lecteurs. Y aura-t-il des gens pour me lire ? Puis pour aimer ce qu’ils ont lu ?

samedi 7 mars 2009

Chez le dentiste



Chez le dentiste, pour me réparer un petit morceau de plombage.
Mon dentiste, bavard hyperactif et sympathique, a un de ces sièges de soins où vous êtes complètement basculé en arrière, les pieds en l’air et la tête en bas. Du coup, il pose négligemment, pendant les soins, certains de ses ustensiles ou outils (je ne sais pas comment on dit) sur ma poitrine. Je ressens un discret sentiment de gêne lié à ce petit geste pas méchant : se servir d’un corps humain (ici, le mien…) comme d’une chose.
Je repense à ce passage de Primo Levi, dans son chef d’œuvre Si c’est un homme, où il raconte l'histoire suivante, survenue avec l'un de ses gardiens :
« Pour rentrer à la Buda, il faut traverser un terrain vague encombré de poutres et de treillis métalliques empilés les uns sur les autres. Le câble d’acier d’un treuil nous barre le passage ; Alex l’empoigne pour l’enjamber, mais, Donnerwetter, le voilà qui jure en regardant sa main pleine de cambouis. Entre temps je suis arrivé à sa hauteur : sans haine et sans sarcasme, Alex s’essuie la paume et le dos de la main sur mon épaule pour se nettoyer ; et il serait tout surpris, Alex, la brute innocente, si quelqu’un venait lui dire que c’est sur un tel acte qu’aujourd’hui je le juge, lui et Pannwitz, et tous ses nombreux semblables, grands et petits, à Auschwitz et ailleurs. »
Les deux situations n’ont évidemment rien à voir. Mais je me dis tout de même que lorsqu’on est soignant, c’est-à-dire lorsqu’on peut toucher ou manipuler le corps d’autres humains, il y a de petits gestes auxquels nous avons à prendre garde.

jeudi 5 mars 2009

Inquiétudes d'auteur

Angoisse des auteurs lors de la publication de leurs livres : et si cela n’intéressait personne ? Des inquiétudes qui ont inspiré cette épigramme anonyme :

« Plaignez passant ce pauvre auteur !
Las ! son sort fut bien éphémère
Il naquit chez son imprimeur,
Il vint mourir chez son libraire. »


(trouvée dans le délicieux et érudit ouvrage de Claude Gagnière : Versiculets et texticules, paru chez Robert Laffont en 1999)