vendredi 18 décembre 2009

J'écoute le chant de l'oiseau



"J'écoute le chant de l'oiseau non pour sa voix, mais pour le silence qui suit."
Noguchi Yonejiro

Je vous souhaite de belles fêtes. On se retrouve à la rentrée, le lundi 4 janvier. Merci encore une fois, sincèrement, pour votre participation active à ce blog, qui est devenu en neuf mois, grâce à vous, un lieu de discussion qui me passionne, me réjouit, me secoue, m'émeut, bref : me nourrit et me transforme.

Illustration : statue de Kûya-Syônin, prêtre du Bouddha Amida, qui se trouve à Kyoto dans le temple Rokuharamitsu-Ji. Merci à Claire.
Pour plus de précisions, voir son message du 28 décembre, dans la liste des commentaires ci-dessous.

jeudi 17 décembre 2009

Papa médite


Une histoire racontée par mon copain Florent, infirmier du service qui anime avec moi les groupes de méditation à Sainte-Anne.
Un jour qu’il méditait chez lui, dans une pièce à l’écart, assis sur son coussin, sa fille de 6 ans entre dans la pièce. Voyant son papa les yeux fermés, elle s’approche à pas de loup, et s’installe doucement à côté de lui.
Il a toujours les yeux fermés, mais il l’a évidemment entendue arriver : dans la méditation de pleine conscience, tous nos sens sont en éveil, tranquilles mais parfaitement affûtés. S’il y a bien un moment où nous entendons tout, c’est lorsque nous méditons !
Bref, il a simplement intégré l’arrivée de sa petite fille dans son exercice de pleine conscience. Il l’entend qui respire, il devine qu’elle l’observe, ou qu’elle l’imite. Puis au bout d’un moment, une petite voix :
« - Papa ? Tu dors ?
- Non, je médite.
- Ah… (déçue peut-être, et étonnée) Et… tu m’as entendue arriver ?
- Oui, oui, je t’ai entendue arriver.
- Ah… »
Elle est surprise, et admirative sans doute, de ce papa qui voit tout et sait tout même les yeux fermés, même l’air de dormir.
Mais lorsqu’on médite en pleine conscience, on est intensément présent : la méditation n’a rien (normalement) à voir avec la somnolence…

Illustration : Route 66, gallerie Sollertis.

mercredi 16 décembre 2009

Cauchemars

Cauchemar du claustrophobe : être enfermé dedans.
Et cauchemar du dépendant : être enfermé dehors.

mardi 15 décembre 2009

Se sentir de trop


« Plus profondément je rentre en moi-même, plus attentivement j'examine toute ma vie passée, et plus je me convaincs de la rigoureuse vérité de cette expression. De trop : c'est bien cela... De moi, il n'y a pas moyen de dire autre chose : homme de trop, c'est tout. » Pour en savoir davantage sur le triste héros qui parle ainsi, lisez la célèbre nouvelle de Tourgueniev, Le Journal d’un homme de trop. Vous y découvrirez une petite merveille d’introspection, parsemée de nombreuses perles psychologiques. Comme ce passage sur le masochisme moral : « Il est plaisant et douloureux de retourner le fer dans la plaie des vieilles blessures. » Ou cet autre sur la rumination : « Voilà le genre de pensées mi-avortées, mi-exprimées qui me revenaient interminablement, et roulaient dans ma tête en un tourbillon monotone. »

lundi 14 décembre 2009

Injustice


Je me souviens : en classe de 5ème, cours de Sciences Naturelles. Je suis assis à côté d'un élève de ma classe qui n'est pas un vrai copain (la prof nous a placé d'office pour séparer les vrais copains, justement), mais nous coexistons sans heurts.
Ce jour-là, le cours porte sur la main. Nous devons dessiner nos mains, les doigts, les ongles et tout ça. Quand nous avons fini, la prof passe dans les rangs pour regarder le résultat : "il manque quelque chose, il manque quelque chose" répète-t-elle à tout le monde. "Regardez mieux". Je regarde mieux, mais j'ai beau regarder mieux, je ne vois rien que je n'ai pas dessiné.
Elle a fait le tour de la classe, personne n'a trouvé ce qu'il fallait voir. Elle nous aide : "regardez mieux vos ongles". Et elle repasse dans les rangs. Tout à coup, je vois ce que nous avons oublié : la lunule. Je la rajoute, et j'attends tout fier que la prof repasse.
Mais manque de bol, elle commence par mon voisin : "ah ! enfin ! bravo, très bien !" Le fourbe a vu mon dessin et l'a recopié à toute allure ! Puis elle passe au mien, et laisse tomber : "évidemment, si le premier trouve, l'autre aussi..." Et elle repart au tableau nous faire le dessin complet. Il ne se dénonce même pas, il ne me demande pas pardon, il est juste sacrément embarrassé, il n'ose plus me regarder ni me parler.
Je m'en souviens encore aujourd'hui ! De la scène, de son prénom et de son nom (je ne cafterai pas...), de sa tête. Je ne lui en veux plus, évidemment. Je crois que je ne lui en ai même pas voulu à l'époque. J'en voulais plutôt à la prof. J'étais en colère contre l'injustice, pas contre les humains qui en avaient été les vecteurs. D'ailleurs, en y repensant, je me souviens de la majorité des injustices dont j'ai été l'objet. Sans colère, mais avec intensité. Même si elles n'étaient absolument pas graves, comme l'histoire de la lunule. C'est drôle comme nous sommes psychologiquement équipés pour ne pas tolérer l'injustice. C'est drôle et c'est bien ; sans cette allergie à l'injustice, nos sociétés ne seraient pas bien agréables à vivre...

Illustration : "regardez mieux !"

vendredi 11 décembre 2009

Allonger la foulée


L’autre jour, je me promenais dans les bois, lorsqu’à un embranchement, je me retrouve à emprunter le même chemin qu’une élégante dame qui trottinait très lentement, mais avec grâce.
Tout son corps faisait le mouvement de la course, mais ses pieds accomplissaient celui de la marche : l’un d’entre eux était toujours en contact avec le sol (alors que lorsque nous courrons, il y a entre deux foulées, un moment où nous sommes suspendus en l’air). C’était étrange mais élégant, et j’observais avec attention cette allure délicate et atypique.
Seul problème : la dame n’allait pas très vite. Du coup, simplement en marchant, j’arrivais à la suivre. Au bout de 100 mètres, elle se retourne brièvement et s’aperçoit de ma présence admirative. Alors, elle se met doucement à accélérer et à vraiment courir. Et elle disparaît au bout du chemin.
J’ai supposé que ce n’était pas par peur de moi (je l’espère en tout cas) mais simplement parce que c’était vexant pour elle, dans son beau survêtement de sport, avec ses chaussures à coussin d’air, de se voir suivie par un nigaud en godillots. En accélérant, elle a cessé de faire de l’exercice physique tranquille (juste le plaisir de bouger harmonieusement son corps) pour passer dans le registre du sport (le dépassement de soi ou des autres). Et elle m’a privé de sa présence. Tant pis, j’ai recommencé à regarder les arbres et le chemin.

Ilustration : le célèbre film, d'Eadweard Muybridge, en 1876.

Waf !


Désolé de vous avoir ainsi mis involontairement (quoique ?) à contribution. J'espère (je n'ai pas de souci à ce sujet...) que les critiques continueront de se faire entendre : cela intéresse tout le monde, et voyez comme ça chauffe l'ambiance ! Pour ma part, ce que j'ai lu me motive beaucoup. Merci. C'est une expérience très étonnante sur une multitude de plans, ce que je viens de vivre grâce à vous toutes et tous. De celles qui rendent à la fois plus sensible et plus fort. Dans le même temps.

Illustration : un psychiatre confiant mais prudent.

jeudi 10 décembre 2009

Petits remontages de bretelles


Depuis un bout de temps déjà sont apparues les premières critiques par rapport à mes billets, de la part des internautes. Le phénomène s'est accentué cette semaine, avec les deux textes des jours derniers (Humilité et politique, Ne me prenez pas).
J'espère que vous me croirez : j'en suis ravi ! Enfin, ravi... Disons plutôt que j'accepte de bon coeur. Même si ça picote un peu désagréablement l'ego, c'est vivifiant, c'est OK, c'est utile.
C'est la supériorité du blog sur l'écrit en papier : le retour immédiat, approbateur ou critique. C'est toujours important et intéressant de découvrir qu'on a déplu par ses propos, qu'on a irrité, ou déçu, ou peiné. Parfois on est d'accord, et on assume, et on tire les leçons pour la prochaine fois (nuancer, étoffer, argumenter davantage). Parfois on n'est pas d'accord, et on apprend ainsi comment nos intentions peuvent tomber à côté.
Voilà pour les critiques. Maintenant, pour être tout à fait sincère, si ces critiques me sont supportables, c'est parce qu'elles sont entourées de commentaires et messages de soutien. Et parce qu'elles suscitent un débat (vraiment intéressant, je me régale à lire le fil des discussions). Et enfin, parce que globalement, il y a plus de soutien que de critiques.
Du coup, ces derniers jours, je me suis posé la question : est-ce que je continuerais si le rapport s'inversait ? Si je me faisais majoritairement allumer, si les internautes, finalement, votaient contre moi ? Mmm... Pas sûr. Je pense que je replierai les voiles, et que je retournerai à l'écriture de mes petits carnets intimes, au lieu d'en détourner une partie sur ce blog extime. Je ne suis pas assez costaud émotionnellement pour m'exposer volontairement à de fortes doses de désapprobation ! Ce qui m'intéresse c'est de vérifier que je ne suis pas tout seul à penser et à ressentir ce dont je parle sur le blog, c'est d'appartenir à une communauté. M'apercevoir que je suis à contre-courant ne me flatterait pas (comme pour certains qui s'en réjouissent). Cela me donnerait plutôt un sentiment de solitude. Pas suffisant pour renoncer en bloc à mes idées ; mais suffisant pour que je m'interroge et que je me taise.
Bon, en attendant, à demain !

Illustration : un jeune auteur-blogueur avec le bonnet d'âne envoyé par des internautes...

mercredi 9 décembre 2009

Humilité et politique


Dans son célèbre Livre du courtisan, publié en 1528, l’écrivain et diplomate Baldassare Castiglione écrit ceci : « On doit toujours être un peu plus humble que ne l’exige son rang. » L’humilité comme politesse des grands et des puissants. Donald Trump (voir le billet du 2 décembre 2009) n’a pas dû le lire…

Illustration : Portrait de Baldassare Castiglione, par Raphaël.

mardi 8 décembre 2009

Ne me prenez pas !


C’est une patiente très malheureuse, et très abîmée en matière d’estime de soi.
Elle a d’énormes problèmes de ce côté-là : persuadée qu’elle ne vaut rien, n’a aucun talent, ne peut plaire à personne ni rien faire de bien, à part échouer. Elle ne reste jamais longtemps dans le même travail : soit elle fait correctement le job mais finit par démissionner, intimement convaincue qu’elle le fait mal ; soit elle le fait effectivement mal, tant elle est stressée, insécurisée, inhibée, crispée, et on la congédie…
Elle me raconte comment, lors des entretiens d’embauche qu’elle passe quelquefois (il faut bien payer son loyer), elle s’entend dire dans sa tête : « Ne me prenez pas, ne me prenez pas ! Vous le regretterez ! » Et évidemment, ça marche, le plus souvent : on ne la prend pas. C’est d’ailleurs un souci de plus pour moi, cette névrose du « je ne mérite pas qu’on me prenne » : car je ne peux pas la prendre en thérapie justement ; trop débordé, je n’ai plus de place pour de nouveaux patients.
Alors j’adopte des ruses de sioux pour qu’elle ne soit pas blessée par mon refus, un de plus dans sa vie. Heureusement que je connais plein de collègues thérapeutes sympas et compétents qui vont pouvoir l'aider.

Photo de Henri Cartier-Bresson, Brooklyn 1947 (merci passou).

lundi 7 décembre 2009

Grand-père


C'est un de mes amis qui est devenu grand-père. Ce n'est pas un grand expansif, il vit ça sobrement, sans grandes déclarations. Mais ça lui plaît.
Lors des vacances de Toussaint, nous avons passé quelques jours ensemble dans une grande maison de vacances où il y avait tout plein de monde, dont sa fille et sa petite-fille. Un après-midi où la maison était calme, alors que presque tout le monde était parti en ballade, lui et moi étions restés. Moi pour bouquiner et lui pour s'occuper de sa petite-fille. J'étais à un bout de la grande pièce et lui à l'autre. Il m'avait complètement oublié.
Et à un moment, plongé dans mon livre, je l'entends qui fait des bruits bizarres, des petits grognements tendres. Je lève la tête discrètement : c'était mon pote, qui poussait ces petits cris primitifs en donnant le biberon, pour causer avec le bébé, les yeux plissés de bonheur, un petit sourire au coin des lèvres.
Comment dire ? Ce tout petit instant m'a bouleversé plus que tous les grands discours possibles sur le bonheur d'être grand-père. Cet amour paléolithique qui sortait du fond de sa gorge et de la nuit des temps m'a ému jusqu'aux larmes.

Illustration : Jean-Étienne Liotard, Fillette à la poupée.

vendredi 4 décembre 2009

Marcher sous la pluie


En thérapie comportementale - mais c’est aussi comme ça dans la vie - il faut essayer de faire personnellement ce que l’on recommande aux autres de faire. Donner des conseils qu’on n’appliquerait pas soi-même, quelle drôle d’idée !
L’autre jour, je discutais avec un de mes patients, en période doucement dépressive. Il me racontait qu’il avait tendance à beaucoup rester chez lui, à tourner en rond, à peu s’activer, à peu sortir, à peu bouger. Comme il exerce déjà son travail à domicile, ça fait vraiment peu de mouvement dans sa vie ! Et ce qui nourrit la dépression, entre autres choses, c’est l’immobilité.
Alors nous commençons à réfléchir à tout ce qu’il pourrait essayer de recommencer à faire, pour se bouger.
Et tout à coup, je réalise que la situation a quelque chose d’un peu absurde : nous parlons de nous bouger, tout en gardant les fesses bien calées dans nos fauteuils ! Du coup, je lui annonce : « allez hop ! on prend nos manteaux, et on va continuer cette réflexion dehors, on sort se balader ! » Il est un peu surpris, mais il accepte en souriant.
Dehors, il fait moche : gris, froid, un peu de crachin, un vrai temps de novembre, tout triste. Pas grave : nous marchons, d’abord dans Sainte-Anne, puis dans le parc Montsouris voisin. Nous marchons et nous parlons. Et à la fin, nous rentrons, tout tranquilles et contents d’avoir marché et parlé. Mon patient me dit que ça lui a fait du bien. Que ça lui rappelle les ballades qu’il fait parfois le dimanche lorsque des amis viennent les visiter. Qu’il aime beaucoup ces marches. Moi aussi, je suis content d’avoir marché avec lui sous ce ciel gris, qui du coup a cessé d’être hostile ou contrariant, mais qui a trouvé sa place dans notre journée, qui a accompagné notre balade, comme un brave chien.
Je demande à mon patient de marcher, comme nous l’avons fait, une heure chaque jour. Je lui rappelle qu’un des moyens de ne pas ruminer, plutôt que vouloir mentalement s’empêcher de ruminer, c’est de sortir et d’aller marcher. Il me tarde de le revoir, pour savoir si… ça aura marché !

Photo de Pierre Assouline.

jeudi 3 décembre 2009

Et maintenant, on passe aux choses sérieuses


Le mois dernier, je donnais une conférence aux anciens d’une Grande École renommée. Une conférence sur le bonheur. Conscient qu’il s’agissait d’un public avec un bon niveau scientifique, j’avais pas mal insisté sur les travaux de recherche en psychologie positive et tout ça. D’après leurs têtes et leurs réactions, ça leur avait convenu…
Après la séquence des questions-réponses (ou tentatives...), j’étais en train de quitter l’estrade lorsque le président de séance, qui m’avait poliment écouté, en commençant à présenter l’orateur suivant, membre de cette Grande École, laissa échapper : « Bien, merci encore au Docteur André ! Et maintenant, nous allons passer aux choses sérieuses… »
Énorme éclat de rire dans l’assemblée ! Au moins, c’était clair : j’avais joué le rôle de la danseuse ou du bouffon ; allez, disons : du distracteur. Il y a quelques années, ça m’aurait vexé sans doute. Mais plus maintenant. J’ai même trouvé ça très drôle : c’est toujours mieux de savoir exactement quelle place nous tenons dans le grand spectacle de la vie !

Illustration : un psychiatre donnant une conférence sur le bonheur.

mercredi 2 décembre 2009

Donald Trump

Une blague que Matthieu Ricard, que les excès d’ego exaspèrent, m’a racontée sur le milliardaire américain.
C’est Donald Trump qui parle de lui, de lui, de lui, encore de lui… Au bout d’une heure, voyant que son interlocuteur commence à fatiguer un peu, il lui propose majestueusement : « Bien ! Assez parlé. Je vous donne la parole : que pensez-vous de moi ? »

mardi 1 décembre 2009

La dame qui procrastine


Un jour en consultation, je reçois une dame qui stagne dans sa vie : « Je n’arrive pas à prendre de décisions, tout est compliqué, tout me pèse. Que ce soit des décisions importantes, comme celle de chercher un nouvel emploi, car je n’aime pas le mien. Ou des décisions mineures, comme de changer ma cafetière, qui ne marche plus. Je repousse toujours à plus tard… »
Et elle se sent toujours fatiguée.
Mais elle ne se rend pas clairement compte qu’elle est fatiguée surtout par les choses qu’elle n’a pas faites : tout le poids des « choses à faire » qui pèse sur ses épaules, depuis un repli de son subconscient. Elle a l’air étonnée quand je lui en parle. Mais elle comprend vite. Tout comme elle comprend que sa thérapie va consister non pas seulement à savoir pourquoi elle est comme ça (elle a déjà passé quelques années à chercher à comprendre, sans résultats probants). Mais à aller changer sa cafetière, à ranger ses placards, à répondre à son courrier, à contacter ses amis… Elle devrait se sentir beaucoup moins fatiguée ensuite.
C’est drôle comme nous, thérapeutes et patients, avons parfois tendance à négliger ces stratégies toutes simples de relance comportementale dans les problèmes de dépressivité…

Illustration extraite de notre livre, à Muzo et moi : Petits complexes et grosses déprimes, paru aux éditions du Seuil.