vendredi 29 janvier 2010

La crampe


Ça m'est arrivé en méditant, un matin alors que je traversais une période un peu compliquée, rien de méchant, que de la petite adversité ordinaire, mais de la fatigue et du stress.
Je m’installe sur mon banc, et en dix secondes, crampe sous le pied gauche. Fulgurante. Première réaction : bouger pour me soulager, rouvrir les yeux, changer de position ; ou même arrêter ma séance, après tout, j’ai plein d’autres trucs à faire, ce n’est pas le jour pour en plus en baver...
Heureusement, mes patients me sauvent : on en a parlé la veille sur le groupe, de ces histoires. Je m’efforce alors de considérer la pensée « bouge, et puis même, arrête et va bosser » et de voir que ce n’est qu’une pensée, pas une nécessité. Je m’efforce de l'accueillir, et de la prendre avec recul, comme un phénomène produit par mon esprit. Je fais le choix de ne pas mordre à l’hameçon, et de ne pas bouger comme un toutou obéissant à mes automatismes ("tu ressent un truc pénible ? écarte-toi !").
Alors je décide, avant de bouger (l’envie est très forte) de prendre le temps d’examiner la douleur de la crampe. Elle est où, exactement ? Elle est stable ou variable ? Elle me pousse à faire quoi ? Et évidemment, en une minute, elle a disparu. Dissoute. J’ai beau savoir que ça existe, je suis un peu étonné, presque émerveillé, que ça ait marché, là, ici et maintenant. L’incroyable différence de nature entre savoir et expérimenter. Deux univers bien plus éloignés qu’il n’y paraît…
D’accord, ça ne marche pas tout le temps. Parfois, il faut vraiment réajuster sa position. Ou arrêter sa séance. Si les tourments sont trop puissants. Méditer ce n’est pas du masochisme.
Mais quand on peut traverser une souffrance rien qu’en acceptant qu’elle soit là, sans réagir par de l’agitation mais juste par de la conscience, c’est toujours tellement réconfortant, cette rencontre entre la théorie, les intentions, le discours, et la réalité. Même pour un professionnel ; on ne se lasse jamais de découvrir et redécouvrir le réel !
On se sent en règle, en sécurité et en cohérence : ça marche, je le sais, je l’ai fait…

jeudi 28 janvier 2010

La neige la nuit


Lorsqu'il y avait beaucoup de neige, cet hiver, je me suis balladé dans les bois à la nuit tombée. Quelle drôle de sensation ! Le ciel sombre, et la neige qui éclairait tout par en bas ; le crissement de mes souliers, cet espèce de bruit inimitable de la neige qu'on écrase sous ses pas. Sentiment d'existence animale, sensorielle, intense et simple. Bouffée de conscience sans attente particulière. Gravé pour longtemps dans ma mémoire.

Illustration : Edvard Munch, Avenue sous la neige à Koesen (1906).

mercredi 27 janvier 2010

Drôle et triste

Lors d'un colloque sur le stress, un des orateurs arrive à plaisanter sur un sujet pas très drôle. C'est à propos des suicides sur les lieux de travail : "Attention, on vous demande juste de vous tuer au travail. Pas de vous y suicider !" Triste et drôle en même temps.
Comme le bonhomme est sympathique, et que son travail consiste justement à défendre les salariés en difficulté avec leurs employeurs, ça me fait quand même sourire. Je me souviens alors, pour me déculpabiliser, de la phrase de Desproges : "on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui"...

mardi 26 janvier 2010

Kongo Rikishi n’est pas content





Lors d’un voyage au Japon, je me promène dans le musée d’un temple, à Nara, ancienne capitale (autrefois, ça changeait beaucoup : chaque fois qu’un empereur mourait, le nouveau choisissait une autre ville de résidence).
Je tombe sur plein de merveilles, et notamment sur ces deux statues, assez terrifiantes : elles représentent Kongo Rikishi, un des gardiens traditionnels du Bouddha placés à l’entrée de nombreux temples orientaux pour faire reculer les démons. Sorte d’Hercule, toujours très musclé et manifestant une colère destinée à intimider, il est souvent figuré deux fois : bouche ouverte et bouche fermée.
Je ne peux pas m’empêcher de penser aux deux formes de visages de colère repérées par les psychologues évolutionnistes : colère à bouche fermée (que nous essayons de contenir, mais non de cacher) et colère à bouche ouverte (c’est parti…).
Et de fait devant ces grandes statues, dans ce recoin désert du petit musée, je ressens comme un petit enfant la fonction relationnelle de la colère : intimider, susciter de la peur, et faire reculer l’adversaire, l’intrus ou le contradicteur. Moi qui n’aime pas affronter des personnes en colère, je reste un moment à méditer devant ces Dupont et Dupond du Bouddha, histoire de me désensibiliser un peu…

Illustration : les deux Kongo-Rikishi du temple de Kohfuku-ji, à Nara, Japon (12 ou 13ème siècle après JC).

PS : en réalité, bouche fermée et bouche ouverte expriment aussi deux phonèmes (« A » pour l’ouverte, et « MMM » pour la fermée) associés au commencement et à la fin de toutes choses (un peu comme nos Alpha et Omega chrétiens).

lundi 25 janvier 2010

Acclamer Chevillard


« Si le Christ revenait sur Terre et que la presse l’apprenait, il y aurait tout de même les résultats du tiercé dans les journaux du lendemain. Si Rimbaud revenait sur Terre, il serait invité au journal télévisé et une incrustation sur l’écran nous préciserait ses noms et qualités : Arthur Rimbaud, poète. Les paparazzi campent devant l’immeuble de Mozart revenu sur Terre. Grand reportage dans Paris Match sur Léonard revenu sur Terre. Une prestigieuse marque de parfum demande à Cléopâtre revenue sur Terre d’être sa nouvelle égérie. »

C’est pas super fortiche, ça ? C'est extrait du blog de l’écrivain Éric Chevillard, le mardi 19 Janvier 2010, billet 784. Fonçons toutes et tous sur son blog et chez notre libraire pour acheter ses deux derniers livres (Choir, et L'Autofictif voit une loutre) : soutenons les poètes et les créateurs !

Illustration : Christ aux outrages, fresque de Fra Angelico, dans une cellule du monastère San Marco à Florence.

vendredi 22 janvier 2010

Le combat de l'Urgent et de l'Important


Ce qui est urgent s'oppose souvent dans nos vies à ce qui est important.
Urgent : faire ce que la vie nous demande de faire : travail, courses, bricolage, temps à donner aux autres...
Important : marcher dans la nature, contempler les belles choses, prendre le temps de parler à de vieux amis...
L'urgent prend vite la place de l'important, qui peut toujours attendre et n'est presque jamais urgent. Nous le savons en théorie, comme toujours. Et en pratique, que faisons-nous ?

Personnellement, je vis ce combat de l'urgent et de l'important, chaque matin : après m'être levé tôt, que faire de ces moments durant laquelle la maison dort encore ?

En profiter pour abattre de l'urgent ? Rattraper mon travail en retard, rédiger mes mails, mes écrits en attente ? Tentant, car ça me soulage du fardeau des "choses à faire mais pas faites". Je me sentirai un peu mieux après, et ce sera palpable tout de suite.

Ou bien me dire : "Non, fais d'abord ce qui est important. Assieds-toi sur ton banc, et pratique au moins un quart d'heure de méditation en Pleine Conscience. Le reste viendra ensuite. Et si tu ne fais pas ce qui est important maintenant, tout ce qui est urgent t'aura pris à la gorge tout à l'heure, et la nuit arrivera que tu n'en auras toujours pas fini. Alors, assied-toi et tourne-toi vers l'instant présent, tu sais à quel point c'est important."

À certaines périodes, j'y arrive et je m'en trouve toujours bien. À d'autres, c'est plus difficile ; alors je me rattrape en m'accordant des tas de petits moments de pleine conscience au long de la journée, des parenthèses bénéfiques. Mais tout au fond de moi, je sens parfaitement que ce n'est pas tout à fait aussi bien. Que je suis en train de me carencer doucement...

Je n'ai toujours pas trouvé la solution. Mais tout de même, le plus grand progrès que j'ai fait ces dernières années en matière de méditation, c'est de comprendre ça : que le combat de l'urgent ou l'important, ça commence dès le matin au lever. Et que ce combat aura lieu tant que j'existerai. Que parfois je serai du côté de l'important. Mais parfois esclave de l'urgent. Et que c'est très bien comme ça : c'est le signe que je suis vivant...

Illustration : Détail du Combat de Jacob avec l'Ange, d'Eugène Delacroix. Visible à l'église Saint-Sulpice, à Paris.

jeudi 21 janvier 2010

Papa, sors ta chemise !


Quand j'étais petit, on rentrait sa chemise dans son pantalon.
Alors, j'ai tendance à continuer. Mais depuis plusieurs années, ça ne se fait plus : on ne rentre plus sa chemise dans son pantalon ; surtout en été ou quand il fait bon. Donc, lorsque je suis avec mes filles, je dois sortir ma chemise, mon T-shirt, mon polo, de mon pantalon. Pour ne pas donner l'impression d'être un "papi", moi qui pour le moment ne suis qu'un "papa". La chemise dans le pantalon, cela semble désormais un marqueur ostensible d'âge avancé.
C'est pour ça qu'un détail m'a ému lorsque le film de Clint Eastwood, Gran Torino, est sorti, il y a quelques mois. Un des signes que le personnage qu'il y incarne est un vieux grincheux, plus dans son époque, c'est son T-shirt soigneusement rentré dans son pantalon taille haute ; avec une ceinture, en plus ! Par solidarité envers lui, pendant quelques jours, j'ai rentré ma chemise dans mon pantalon...

Illustration : Clint n'a pas rentré sa chemise, mais on l'aime quand même...

mercredi 20 janvier 2010

Notre époque

Lu récemment cette citation, attribuée à Einstein : "Notre époque se caractérise par une profusion de moyens, mais une confusion des intentions".
Essayer de clarifier ses intentions, prendre le temps de réfléchir : combien de minutes y consacrons-nous chaque jour ? Essayons-nous vraiment de sortir de notre confusion ?

mardi 19 janvier 2010

Rien sur le Japon


Un ami me demandait récemment pourquoi je n'écrivais rien sur le Japon dans ce blog : je viens d'y faire un fantastique voyage, dont je suis revenu plein de souvenirs et d'expériences qui vont sans doute me changer de l'intérieur dans les temps qui viennent. Mais je n'en parle pas ici : je ne me sens pas prêt pour le faire ; je ne vois pas encore clairement en quoi cela pourra aider les internautes qui me lisent à réfléchir sur eux.
De même, rien sur Haïti, alors que je suis, comme tout le monde, hanté par ce qui s'y déroule. Certains matins, je me dis que mes états d'âme, à côté de ce qui s'y passe, c'est vraiment du luxe. Mais d'un autre côté, en parler sur ce blog, je n'y arrive pas : je suis trop dedans, pas de recul. Alors, rien sur Haïti. Ce n'est pas de l'indifférence, mais de la prudence : il y a déjà tant de réactions à chaud, un peu partout, je ne vois pas bien ce que la mienne apporterait.
C'est comme ça, parfois, dans nos vies : on a l'air indifférents ou distants ou ailleurs, et en fait, c'est juste qu'on ne sait pas quoi faire, quoi dire ; et qu'on préfère alors se taire...

lundi 18 janvier 2010

Lumière dans la nuit


De la fenêtre de notre salle de bains, j’aperçois des maisons et des immeubles. J’y jette souvent un coup d’œil aux différentes heures du jour ou de la nuit. Avant d’aller me coucher ou en me réveillant le matin.
Eh bien, il y a là-bas, au dernier étage d’un immeuble d’habitation, une lumière qui ne s’éteint jamais ! Le jour, je ne sais pas, je ne peux pas voir, mais la nuit, elle est toujours là. Je la vois lorsque je me brosse les dents avant d’aller au lit. Je la vois lorsque je me couche tard ; à 2 ou 3 heures du matin, elle est allumée. Je la vois lorsque je me lève tôt ; à 5 heures du matin, elle est allumée. En hiver, en été, quelle que soit la saison, elle brille, solitaire, quand toutes les fenêtres du quartier sont sombres autour d’elle.
J’adore ce détail, et j’adore imaginer pourquoi : quelle histoire là-derrière ? Un enfant qui a peur du noir ? Ça brille quand même bien fort pour une petite veilleuse ; et depuis plusieurs années que j’habite ici, la lumière nocturne est là, ce serait donc une sacrée bonne phobie du noir, plus qu’une simple peur enfantine…
Alors, un adulte ? J’en ai déjà rencontré pas mal, qui avaient cette peur profonde de l’obscurité, et qui dormaient avec une lumière allumée en permanence. Sinon, attaque de panique lors des éveils nocturnes. Les patients que j’ai croisé ne venaient jamais consulter pour cela, mais pour autre chose. Pour la peur du noir, cela leur paraissait plus simple de laisser l’ampoule allumée…
Ou alors, une histoire plus compliquée ? Chapelle funéraire en souvenir d’un défunt ? Ou plus simple ? Interrupteur bloqué chez une personne souffrant de procrastination ? Laboratoire où un savant fou teste de nouveaux modèles d’ampoules ?
En tout cas, une chose est sûre : le jour où la lumière ne sera plus là, j’en ai pour des années à me poser à nouveau des questions : pourquoi la lumière n’est-elle plus là ? Que s’est-il donc passé ?

Illustration : "Coucou, voisin !" (coffret à épices égyptien du temps de Toutankhamon)

vendredi 15 janvier 2010

Smiling in the rain



L'autre jour, à la fin d'un atelier de formation à la psychologie positive que j'animais pour des collègues, l'un d'entre eux me demande : "mais toi, qu'est-ce qui t'a personnellement le plus aidé dans toutes ces techniques ?"
Après quelques secondes de réflexion (en général, ce n'est pas le genre de question qu'on se pose entre pros, du moins en public), je lui réponds que je ne sais pas ce qui m'a le plus aidé. Mais que ce qui m'a aidé ces derniers temps et que je n'ai appris à faire que récemment, c'est de sourire dans l'adversité, dans la tristesse, dans l'inquiétude.
C'est le sourire le matin, à l'aube, alors qu'on sent le souci de vivre qui pointe le bout de son nez, qui vient roder, comme ça, pour voir. Et qu'on sourit quand même. Juste parce qu'on est vivant. Et que sourire alors peut donner la force, peut ramener des fantômes de bonheurs passés ou à venir, des promesses de bonheurs possibles, un jour, quand même : on ne les voit pas clairement, mais on sent leur présence, là, à nos côtés.
Bizarre comme il m'aura fallu du temps non pour le comprendre, mais pour le faire, vraiment : songer à sourire dans l'adversité, avant de songer à pleurer.

jeudi 14 janvier 2010

Le sourire de la boulangère


Je suis en train d’acheter du pain dans une boulangerie loin de mon quartier. C’est 19h25, la fermeture approche. Plus beaucoup de choix de pains. Devant moi, une jeune femme demande si elle peut prendre une demie baguette d’un pain complet restant. Elle précise : « c’est juste pour me faire un sandwich ».
Et la boulangère lui dit non. Alors qu’elle ferme dans 5 minutes et que sa baguette va peut-être lui rester sur les bras. Mais ce qui me frappe, c’est qu’elle dit ça avec un sourire très gentil, ni factice, ni provoquant, ni embarrassé. Un vrai sourire, où il y a tout : qu’elle comprend bien, mais que c’est non. Pas de justifications, pas de mauvaise humeur : juste un « non » calme et souriant. Franchement, à sa place, il me semble que je l’aurais donnée, la demie baguette de pain complet. Mais ce n’est pas ça qui m’intéresse le plus.
Ce qui m’intéresse, c’est que son sourire marche fantastiquement : la cliente, qui n’a pas l’air commode pourtant, semble un peu décontenancée et par le refus et par le sourire, puis dit, en souriant elle aussi : « bon, je la prends en entier », et se met à bavarder de je ne sais plus quoi avec la boulangère.
Je repense alors à la boulangère de mon quartier, souvent revêche et peu souriante (mais son pain est très bon !). Confrontée à ce genre de situation, elle dit non, mais avec un air tellement plein de mauvaise humeur, que ce non devient une agression. Alors que le non auquel je viens d’assister, qui pose les mêmes problèmes matériels (prendre le pain entier ou pas de pain du tout) se passe tellement mieux au plan relationnel !
Certains diront : oui, mais l’essentiel, c’est le pain. Pas si sûr: le lien, ça compte aussi. Pain et lien, deux nourritures de l’humain…

mercredi 13 janvier 2010

"À très vite !"

Je n'aime pas du tout du tout quand, au téléphone, à la fin d'un message laissé sur mon répondeur, on me dit : "à très vite !"
Ça m'incommode qu'on me colle la pression, qu'on me dise en sourdine : "rappelle-moi tout de suite, et que ça saute". Ça me pousserait presque à devenir passif-agressif, tiens ! À rappeler un peu plus tard que je ne l'aurais fait spontanément. Je sais, c'est nul, mais il faut bien freiner l'épidémie d'accélérite qui frappe notre société...

mardi 12 janvier 2010

Hymnes nationaux


L’expression de l’estime de soi collective passe-t-elle par les hymnes nationaux ?
Pour mieux le savoir, je me suis procuré un livre qui recense tous ces hymnes (Le Concert des nations, par Jean-Marc Cara). J’ai été rassuré : alors que je pensais y trouver une majorité de chants guerriers et orgueilleux, la plupart d’entre eux s’avèrent plutôt pacifiques.
Bien sûr, aux côtés de notre Marseillaise nationale (« Qu'un sang impur abreuve nos sillons... »), on retrouve quelques incitations à aller se bagarrer pour défendre sa gloire et son honneur. C’est le cas pour l’Allemagne (et son célèbre « Deutschland über alles », L’Allemagne au-dessus de tout). Ou pour Cuba : « Au combat, courez, gens de Bayamo / La patrie vous contemple avec fierté / Ne craignez pas une mort glorieuse / Car mourir pour la patrie c’est vivre. » (Bayamo est une ville cubaine où a été écrit le texte de cet hymne, nommé « La Bayamaise », un peu par le même mécanisme que « La Marseillaise »).
Plus pacifique, l’hymne portugais est aussi tourné vers l’estime de soi, avec un zeste de nostalgie de la grandeur historique passée : « Héros de la mer, peuple noble / Nation vaillante, immortelle / Relevez à nouveau aujourd’hui / La splendeur du Portugal / Entre les brumes de la mémoire. »
Mais globalement, c’est plutôt l’affection et l’attachement à sa terre natale que chantent les hymnes. Par exemple au Chili : « Pur, Chili, est ton ciel bleu azur / Des brises pures te balayent aussi / Et tes champs bordés de fleurs / Sont l’heureuse copie de l’Eden. » Ou en Estonie : « Mon pays natal, ma joie enchantée / Comme tu es beau et éclatant ! / Nulle part dans le monde / Un tel lieu ne peut être trouvé / Autant aimé que je t’aime / Mon cher pays natal. »
Si ces chants nationaux traduisent les aspirations profondes de leurs peuples, alors il y a de quoi être rassuré : la plupart des humains rêvent davantage de vivre en paix plutôt que de dominer leurs voisins. Ils ont raison : la paix est plus belle encore que la victoire. Encore faut-il ne pas suivre, régulièrement, les quelques énervés qui poussent à la bagarre...

Illustration : Vive le Québec libre !

lundi 11 janvier 2010

La vraie maturité


Paroles du chien Snoopy, dans la bande dessinée de Charles Schultz, "The Peanuts", 1959 :
"Certains jours, je me sens d'une humeur bizarre. C'est comme si je ne pouvais m'empêcher de mordre un chat. Parfois, il me semble que si je ne parviens pas à mordre un chat avant le coucher du soleil, je pourrais devenir fou. Alors, je prends une grande respiration, et puis je n'y pense plus. Voilà ce que j'appelle la vraie maturité."
Moi aussi. Je suis d'accord avec Snoopy : il y a quelque chose de l'ordre de la maturité dans cette capacité, et cet effort, de renoncement. Et du coup, j'ai réfléchi à ce que serait mon équivalent psychologique du "besoin de mordre un chat". Sans doute m'abandonner à mes ruminations... Et vous ?

Merci à Jacques Fradin qui m’a passé cette citation drolatique.

vendredi 8 janvier 2010

Le bonheur dans 20 ans


C'était une journée d'avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures...
Winston Smith quitta son bureau du Ministère du Bien-Être. 2023 était une année historique : pour la première fois, l'humanité n'était pas en guerre. Nulle part. La plupart des dirigeants politiques étaient désormais des femmes. Et le bonheur était devenu un enjeu majeur pour toutes les nations. En Franceurope, le gouvernement était tombé l'an dernier à cause des mauvais indices SWB (Subjective Well Being). Les cours du SWB rythmaient désormais le quotidien des entreprises et des gouvernements, comme jadis le Dow Jones, Nikkei et autres CAC 40… Différentes expériences étaient conduites à grande échelle depuis quelques mois dans le cadre d'un programme mondial de l'OMS, dont le nom de code était EB : Ère du Bonheur. Dans toute la Russie, une supplémentation en antidépresseurs était systématique dans l'eau du robinet. En Amérinord, les cours de dessin avaient été supprimés dès l'école primaire pour être remplacés par des ateliers de relaxation et de méditation transcendantale. L'Université de la ville franche de Londres venait de créer une spécialité médicale d'eudémonologie (du grec eudémonia : bonheur). De nombreux candidats avaient afflué du monde entier.
Âgé de 29 ans, Smith se souvenait avec amusement des débats qui avaient agité le siècle précédent, celui de ses parents, sur le bonheur, qu'on accusait de rendre mou et égoïste. Depuis ces grands programmes, le pire n'était pas arrivé : ce n'était pas encore le "cauchemar climatisé" qu'avait prédit un écrivain américain dont on avait perdu le nom. L'humanité comptait toujours son lot d'énervés et de malpolis, de poètes et de musiciens. Arrivé au restovite, Smith pianota sa commande (un miniwok d'algues australasiennes AOC, comme d'habitude), puis il se plongea dans le journal : une équipe chinoise venait de mettre au point la fameuse stabilisation cellulaire après laquelle courraient tous les laboratoires de biologie moléculaire. Selon le journaliste, cela signifiait que d'ici 20 à 30 ans, on pourrait immortaliser des humains tout entiers, et plus seulement des cellules. Le robogroom apporta les algues. Smith posa distraitement son index sur le printicode pour payer, et commença à rêvasser. Tout le monde savait que le bonheur n'avait qu'une fonction : faire supporter à l'homo sapiens sa condition de mortel. Les humains étaient les seuls êtres vivants à savoir qu'ils allaient mourir, d'où leur besoin effréné de bonheur. Mais là… Le problème d'une humanité immortelle, ce ne serait plus le malheur, mais l'ennui.
Winston Smith saisit son dictapalm et énonça lentement : "Rédiger une note interministérielle pour la mise en place d'un groupe d'étude sur la prévention de l'ennui". Puis il mâchonna lentement ses algues en regardant, sur les télécrans du plafond, les filles qui passaient dans la rue. L'Ère du Bonheur n'aurait pas duré bien longtemps…

À la demande de la revue de la FNAC, Epok, j’avais rédigé ce petit texte en 2003, en hommage à George Orwell (dont on célébrait le centenaire de la naissance, en 1903) et à son plus célèbre roman, 1984. Six ans ont passé et quelques unes de mes prédictions se sont déjà réalisées (ce n'était pas très difficile...) : les cours d’eudémonologie à l’université de Londres, l'intérêt des politiques pour le SWB, les recherches sur l'immortalisation des cellules. La tonalité générale de ces lignes est un peu inquiétante ? Elle ne correspond pas complètement à ma pensée personnelle, ni à mes convictions. Mais il s’agissait de rendre hommage à celles d’Orwell, qui n’avait pas une vision optimiste de notre avenir…

Illustration : The waiting girl, photo de Loretta Lux, 2006.

jeudi 7 janvier 2010

Téléchargement


L'autre jour, je devais télécharger des documents sur Internet. Un peu bousculé, plein de choses à faire, et ce téléchargement qui n'en finit pas... Pfff ! C'est long ! Je m'agace, sans m'en rendre compte.
Et tout à coup, l'évidence : comment ça, c'est long ?! Non, ce n'est pas long, quelques minutes pour récupérer tant de données. C'est toi qui es impatient. Et tes grands discours sur l'instant présent ? Et tes patients avec qui qui tu travailles sur ça ? Tu n'es pas un peu à côté de la plaque, là ?
Respire, vieux, relâche ces épaules crispées.
Ferme un peu tes yeux.
Et souris, patate !
Là... C'est pas mieux comme ça ?

Illustration : quelques super-héros et super-normaux toujours cool et de bonne humeur.

mercredi 6 janvier 2010

Le trop

"Le trop de quelque chose est un manque de quelque chose" dit un proverbe de sagesse arabe.
J'aurais volontiers écrit : "est un manque d'autre chose".

mardi 5 janvier 2010

Le rameur d’Ellis


Nous nous servons parfois de récits et de métaphores en psychothérapie. Voici l’une d’entre elles, que m’a apprise un collègue et copain, Bruno Koeltz (auteur d’un très bon livre sur la procrastination). Il en attribue la paternité à Albert Ellis, un des pères de la thérapie cognitive.
C’est un rameur, pas très expérimenté, qui descend une rivière dans un canot. Il sait qu’au bout, tout au bout, il y a des rapides, et que ce passage sera dangereux. Il a le temps, mais il sait que ça viendra.
Certains rameurs vont alors commencer à se faire du souci : « est-ce que je vais y arriver ? » et durant toute l’approche des rapides, être plus présents à leurs inquiétudes qu’à leur façon de ramer. D’autres vont se centrer sur le présent : « en attendant les rapides, je vais déjà apprendre à mieux ramer ! »
Les uns et les autres arriveront aux rapides sans doute plus expérimentés qu’au début de leur voyage : nous anticipons les dangers à venir en fonction de ce que nous sommes maintenant, mais souvent la « marche d’approche » comme on dit en langage montagnard, nous a tellement changés que nos anticipations sont alors devenues invalides.
Mais on peut évidemment imaginer que les rameurs centrés aussi sur le présent et non seulement sur le futur (comme nous le sommes lorsque nous sommes inquiets) auront davantage changé. Et davantage appris durant leur approche. La vie ne nous aide à changer que si nous l'habitons pleinement, et non si nous la désertons (par l'anticipation ou la rumination).
Je sais, c’est plus facile à dire qu’à pratiquer. Mais le dire et y penser, puis l’essayer dans la vraie vie, face à des tout petits rapides, c’est une bonne première étape, non ?

Illustration : barque sur le canal du Midi, par Frédéric Richet.

lundi 4 janvier 2010

Vœux


Un peu casse-pieds, le rituel des vœux ?
Oui, un peu, car attendu, banal, stéréotypé. Mais après tout, ce qui est attendu et banal n’est pas forcément à fuir : pourquoi toujours réclamer, ou s’imposer, de l’imprévu et de l’original ? Que l’on nous dise bonjour en souriant tous les matins, c’est banal et attendu, mais c’est agréable aussi.
Et puis, comme tous les rituels, ce rituel des voeux peut aussi avoir du bon, cacher du bon. Nous aider à nous questionner sur le bien que nous voulons pour les autres. Pourquoi alors ne pas leur dire ?
Ou au moins le penser. S’asseoir en silence, et réfléchir tranquillement aux personnes que l’on aime, ou que l’on connaît, et leur souhaiter du bien, en prenant son temps : « j’espère pour un tel telle chose dans sa vie ; et pour une telle, telle autre. » Même si nos souhaits ne se réalisent pas, cela nous aura rapproché de ces personnes ; et nous aura fait du bien (c’est le principe de la méditation bouddhiste basée sur l'amour altruiste). Mais c'est encore mieux si ces mouvements intérieurs sont suivis de mouvements extérieurs...
Je vous souhaite donc beaucoup de bons moments pour 2010. J’en souhaite à tout le monde. Et je m’en souhaite aussi. Je nous en souhaite à tous. Et que beaucoup de ces bons moments nous viennent des autres ; que nous en soyons conscients ; et que cela en double la douceur et la valeur.

Illustration : pavés du Capitole de Toulouse, après un mariage, par Frédéric Richet.