lundi 31 mai 2010

Un peu de repos


C'est il y a trois semaines, à Sainte-Anne, pendant le groupe de méditation du lundi soir. Nous sommes en train de discuter d'un exercice que nous venons de faire, et pendant lequel plusieurs des participants, patients ou thérapeutes, ont senti qu'ils commençaient à s'endormir.
Alors Michaël, l'interne qui participe à cette session, nous raconte une histoire à ce propos. C'est son petit frère, qui, un soir, traîne au salon avant d'aller se coucher. Il se met dans un fauteuil et commence à somnoler. Michaël passe et lui demande :
" - Mais pourquoi tu ne vas pas dormir dans ton lit ?
- Je ne dors pas, je me repose.
- Tu te reposes, maintenant ?
- Oui, je me repose avant d'aller dormir !"
Logique implacable : se reposer et dormir, ce n'est pas pareil. Et se reposer avant d'aller dormir, ce n'est pas une si mauvaise idée, si se reposer, c'est s'apaiser, se détendre, s'adonner à un petit moment de pleine conscience : juste se sentir respirer, exister, être là. Un troisième état de conscience, entre la veille et le sommeil, un état de présence mentale sans but précis...

Illustration : une petite fille en pleine conscience sous le ciel, par Sempé.

vendredi 28 mai 2010

Perpignan contre Montferrand


Toutes mes excuses à celles et ceux qui ne sont pas passionnés de rugby, nous allons encore en parler ici (je ne vous cache rien de mes obsessions...). Mais nous allons aussi, et surtout, parler de psychologie.

Samedi soir, l'équipe de Perpignan rencontre celle de Montferrand (ça ressemble aux paroles de la chanson de Charles Trénet) en finale du championnat de France de rugby (ce dont nous parlions lundi, c'était la finale du championnat d'Europe).

Ce sera sûrement un "gros" match, comme on dit, très engagé et indécis. Mais ce sera avant tout passionnant sur le plan psychologique. Imaginez un peu : Montferrand, une des meilleures équipes de ces dernières années, est déjà arrivé 10 fois en finale. Un exploit. Et à chaque fois, a perdu. Dix défaites en finale ! Un record. C'est du jamais vu, sans doute un record du monde, dont cette équipe se passerait bien.

Du coup, on parle de malédiction, de signe indien. De névrose d'échec, aussi. Et c'est vrai que beaucoup de ces défaites sont illogiques : souvent l'équipe jaune et bleue (les couleurs de Montferrand) est en train de dominer le match, et tout à coup, sous la pression de l'adversaire, se met à douter, à trembler et à "déjouer", selon le jargon sportif. C'était arrivé par exemple il y a 2 ans face au Stade Toulousain, qui avait nettement battu des Montferrandais pourtant plus frais, et très favoris sur le papier. J'étais au Stade de France ce jour-là et j'avais vu les joueurs auvergnats peu à peu se déliter et perdre dans leur tête avant de perdre sur le terrain face à des Toulousains très malins et sûrs d'eux.

Alors, les Montferrandais détestent, bien sûr, qu'on parle de malédiction ou de névrose, et ils ont bien raison de souhaiter prendre le problème autrement. Ils pourraient bien y arriver cette fois-ci, d'ailleurs. Leur nouveau demi de mêlée, Morgan Parra, est un surdoué au fort caractère, qui a déjà remis plusieurs fois cette année son équipe dans le sens de la marche, alors qu'elle était à la rue. Arrivera-t-il à galvaniser ses partenaires pour la finale, et à les ramener au jeu et à l'instant présent, dans les moments difficiles où leurs esprits commenceront à douter, à trembler, et à quitter le match pour être aspirés dans les peurs de la défaite ?

Regardez cette rencontre, samedi soir, si vous aimez la densité psychologique du rugby et des sports d'équipe : cela pourrait bien ressembler à une tragédie antique...

Illustration : un ballon de rugby et une poupée de Freud, achetée au musée Freud de Londres, en plein dialogue devant la porte de mon bureau...

jeudi 27 mai 2010

Foire du Trône


C'est un patient qui me parle de ses crises d’angoisse dès qu’il est enfermé, coincé, prisonnier.
Mais il a un fils de 9 ans, il ne veut pas lui montrer ses failles (nous discuterons longuement, durant la consultation, de ce « il ne faut pas montrer ses angoisses », d’ailleurs...).
Alors quand son fils lui demande d’aller à la Foire du Trône, il y va. Et quand il lui demande de faire un tour d’un de ces manèges où on vous attache à une nacelle pour vous secouer dans tous les sens, il dit oui, aussi. Pour lui faire plaisir, pour ne pas le limiter à cause de ses peurs à lui. Pour ne pas le contaminer avec ses phobies absurdes. Et aussi pour ne pas perdre la face.
Pendant que le manège tourne, retourne et les secoue dans tous les sens, il lutte de toutes ses forces (respire, se dit que ça va bientôt s’arrêter, etc.). La tête en haut, la tête en bas, il se bagarre pour ne pas craquer.
Enfin, c'est la délivrance, le manège commence à ralentir, la tête et l'horizon se remettent dans le bon sens. Mon patient reprend son souffle et commence à bavarder avec son fiston, qui se remet lui aussi de toutes ces secousses.
Mais tout à coup, la catastrophe ! Comme il n’y a pas trop de monde, le patron du manège leur demande par signes s’ils veulent un second tour gratuit ! Non, non, évidemment surtout pas !
Et mon patient m’avoue alors : « Je lui ai dit non, en prétextant que ce serait trop d'émotions pour le petit. Alors que c’était moi qui était épuisé par la peur ! ».
Tous ces mensonges que la peur nous impose...

Illustration : Jubilation et Désolation sont montées sur un manège, qui s'en souviendra le plus longtemps ?

mercredi 26 mai 2010

Désespoir

Quand j’en ai marre de tout, j’aime bien repenser à ce proverbe yiddish :
« Ne succombez jamais au désespoir : il ne tient pas ses promesses ! »

mardi 25 mai 2010

Stade Toulousain


Ce week-end, le Stade Toulousain a conquis son quatrième titre de champion d’Europe. Aucun autre club n’a fait mieux. Le Stade Toulousain est le plus grand club de rugby d’Europe et sans doute du monde.

J’étais samedi après-midi au Stade de France pour soutenir mon équipe : j’ai chanté, hurlé, braillé, agité mon drapeau ; j’ai espéré, je me suis réjoui, je me suis inquiété, j’ai été soulagé puis heureux.

De l’extérieur, tout cela semble peu logique : dans la vie en général, je m’efforce de fuir les états d'âme de fierté, les notions de victoire, de domination, de suprématie, d’attachement aux résultats. Mais dès qu’il s’agit du rugby et du Stade Toulousain, tout ceci s’envole…

Parfois, je suis presque embarrassé de cette incohérence. Mais en y réfléchissant, je me trouve des excuses et des arguments.
D’abord, ceci se passe dans un domaine bien limité, celui du sport et du rugby, et ne contamine pas, me semble-t-il, le reste de mes attitudes.
Ensuite, ce n’est pas non plus un reniement total de mes valeurs : je ne siffle pas l’adversaire, j’essaye de ne pas trop en vouloir à l’arbitre, d’accepter la défaite, ou de consoler les supporteurs adverses si nous gagnons. Ce n’est pas davantage une aliénation émotionnelle totale : si nous perdons, je ne suis que triste, pas en colère ; si nous gagnons, je ne suis qu’heureux, pas orgueilleux. Enfin, il me semble que finalement, soutenir une équipe sportive peut être une bonne voie (il y en a évidemment d’autres) de travail sur soi…

Par exemple, apprendre à savourer ce qui nous est donné (ces jours-ci, je savoure le titre de champion d’Europe du Stade Toulousain) tout en sachant que cela nous sera retiré, comme tout bonheur (je ne suis pas sûr que le Stade soit de nouveau champion l’an prochain). Et que c’est la vie. Le sport nous fait éprouver que tout passe et tout revient. Et que c’est bien ainsi (il faut bien que les autres équipes gagnent).
Apprendre aussi à accepter la tristesse des lendemains de matches perdus. Se rappeler alors qu’il n’y a pas que la victoire qui compte, il y a aussi la camaraderie, le beau jeu, le ciel bleu et l’odeur du gazon fraîchement coupé. Tout le reste de la vie (ça fait beaucoup).
Et toujours prendre garde, justement, de ne jamais perdre de vue ses valeurs et repères fondamentaux…

Samedi, par exemple, 10 minutes avant la fin du match, les joueurs toulousains mènent 21 à 12 devant leurs adversaires du Biarritz Olympique. Un écart de 9 points qui leur paraît garantir la victoire. On sent qu’ils y pensent déjà.
Leur talonneur, William Servat (surnom : « la Bûche », en raison de l’impression que l’on ressent en essayant de le plaquer) vient d’être élu « homme du match ». Stupidement, on annonce cette nouvelle sans intérêt (le rugby se joue à 15) au micro du Stade de France. L’entraîneur toulousain Guy Novès le fait sortir, car il est épuisé.
Sur le banc du Stade Toulousain, on voit bien qu’ils pensent avoir gagné le match : Servat salue les supporteurs, Novès lui fait un large sourire, tout le monde est content. Et poum !, les Biarrots plantent un essai magnifique au bout d’une gigantesque galopade qui balaie tout le terrain. Un essai à la toulousaine… Les voilà revenus à 21 à 19, s’ils marquent encore 3 points sur n’importe quelle pénalité, ils gagnent. Du coup, la fin du match redevient un moment de tension et d’inquiétude. Jusqu’au grand soulagement du coup de sifflet final…

Péché d’orgueil + faute de déconcentration = punition instantanée. Ces leçons-là, finalement, mieux vaut les recevoir au cours d’un match de rugby que dans la vraie vie, non ?

Vive le rugby, vive le Stade, vive la vie !

PS : merci à Valérie, ma bonne fée du Stade Toulousain, pour les places et à Benoît pour le diaporama.

vendredi 21 mai 2010

Déjà morts

Nous sommes déjà morts, des dizaines de fois.
Sans le savoir.
Des dizaines de fois, nous nous sommes décomposés et recomposés.
De chagrin, de joie ; en quittant des proches, un lieu ; en étant expulsés de notre enfance, de notre jeunesse, ou accueillis en amitié ou en amour ; en tombant malades, en guérissant ; en étant abandonnés ou consacrés.
Décomposition de ce que nous étions, recomposition d’une autre personne ; nous et pas nous ; avec les mêmes ingrédients, mais un agencement différent.
Il y a aussi toutes les molécules de notre corps qui se renouvellent en quelques années (il me semble avoir lu ça quelque part, mais j’avoue que je n’ai pas vérifié à des sources scientifiques).
Morts et ressuscités, donc, régulièrement.
Bref, avec tout ça, pourquoi continuons-nous d’avoir si peur de la mort ? Parce que nous ne sommes pas assez conscients de ces permanentes décompositions et recompositions ? Peut-être bien. Essayons alors de tourner plus souvent notre esprit vers elles. De regarder plus souvent les nuages passer, apparaître, disparaître ; passer aussi le cycle des saisons. Accueillir toute cette impermanence encore plus joyeusement et profondément en nous…

Illustration : Henri Cartier-Bresson. Srinagar, Cachemire, 1948. Femmes musulmanes priant sur la colline Hari Parbal, en direction du soleil levant derrière l'Himalaya.

jeudi 20 mai 2010

Comme si je ne vous connaissais pas


L'autre jour, à table, ma fille Louise reste silencieuse depuis un bon moment. Inhabituel. Alors, je lui demande à quoi elle pense. Et elle de répondre : "Depuis tout à l'heure, je vous regarde comme si je ne vous connaissais pas du tout. Et je me dis : que penserais-tu d'eux en les voyant là, comme ça, si c'était la première fois que tu les rencontrais ?"
C'est drôle, ces petits pas de côté avec le réel, ces moments où l'on s'extrait de ses automatismes et de ses jugements habituels. Et ça passionne la famille. Mais dans un sens d'abord auto-centré : nos premiers réflexes sont non pas de nous demander ce que, à la place de Louise, nous penserions des autres en faisant ce pas de côté. Mais de vouloir savoir ce que Louise pense de nous à cet instant, avec son regard frais !
Nous n'explorons le monde qu'une fois rassasiés (ou rassurés) de nous-mêmes...

PS : Si j'ai posé moi aussi à Louise la question de ce qu'elle pensait de moi ? Bien sûr. Et ce qu'elle aurait pensé de moi en m'observant ainsi attablé parmi les miens ? Que je ressemblais à un vieux fou sympathique. Ça me va tout à fait...

Illustration : un jeune fou sympathique, rencontré sur le site d'Alain de Botton.

mercredi 19 mai 2010

Regarder pousser les fleurs


Je ne sais pas pourquoi ce petit jeu Internet me met en joie : cliquez ici, puis cliquez partout.
Essayez, vous allez voir : l’allégresse de voir pousser des fleurs à toute allure ; presque une ivresse…

Merci à Catherine pour le lien et à Murakami (Takashi) pour l'illustration.

mardi 18 mai 2010

Addictions modernes


C'est une dame qui fait un exercice de méditation, assise en lotus sur un coussin, les mains reposant entre ses jambes. À côté d'elle, la prof qui lui dit : «  Parfait, votre posture est excellente. Maintenant détendez-vous et lâchez lentement votre téléphone portable... »
J'adore ce dessin, qui évoque un de nos combats récurrents lorsque nous pratiquons la Pleine Conscience : décrocher de toutes nos dépendances (à l'action, au portable, à l'Internet, etc.).
Mais bizarrement, ce qui me fait le plus rire, c'est la drôle de coiffure en caniche de la dame accro à son portable...

lundi 17 mai 2010

Fou de rugby


C'est un gars qui devient fou, au rayon fruits et légumes de son supermarché.
Il a peut-être trop trop travaillé au bureau, mais il a aussi trop regardé de rugby ces derniers temps. Il se jette sur un autre client, sous le prétexte qu’il ressemble vaguement à Dan Carter, l’ouvreur des All Blacks, et surtout qu’il porte une pastèque en forme de ballon de rugby. J'aime bien l’expression de son visage (un peu trafiquée par l’ordinateur, mais c’est bien fait…) : un mélange de joie enfantine et de férocité. Qui me fait penser aussi au jeux des chatons lorsqu’ils miment, les oreilles en arrière et le regard terrible, l’attaque d’un adversaire invisible : le mélange de ludique et de sérieux.
Il faut dire qu'en ce moment, je suis un peu dans le même état que ce monsieur, entre la fin du Championnat de France et celle du Championnat d'Europe, avec dans les deux cas, mon cher Stade Toulousain en course pour devenir champion de France et d'Europe. J'ai du mal, chaque jour, à ne pas penser au rugby.
Je me demande quel est l'équivalent, chez les filles, de ces obsessions enfantines de garçons, même grands, même vieux ?

Illustration : une publicité parue lors de la dernière Coupe du Monde de rugby, qui eut lieu en France ; nous avions été tristement battus par les Anglais, en demi-finale. D'ailleurs, ce week-end, mon cher Stade Toulousain a été battu en demi-finale du championnat de France par Perpignan. Seule consolation : ça aura fait plaisir à mon copain Jean.

vendredi 14 mai 2010

Champions de bonheur


L’association « Champions de bonheur » organise son grand concours 2010.

La première fois qu’ils m’ont contacté, il y a quelques années pour me parler de leur projet, j’étais perplexe et réservé. Déjà ce nom : Champions de bonheur.
Pire qu’un oxymore, une incompatibilité complète ! Le cheminement vers le bonheur ne peut être que tranquille, apaisé. Il suppose d’avoir surmonté cette « inquiétude du bonheur » dont parle le poète Maurice Maeterlinck ; de se réjouir du parcours, avant même de savoir si on atteindra le but ; de refuser les comparaisons inquiètes et crispées (« pourquoi sont-ils plus heureux que moi ? ») ; de fuir vigoureusement toutes formes de compétitions vers le « plus » (plus de réussite, d’argent, de bonheur). Alors, devenir champions de bonheur, pff… Quelle idée bizarre !

Finalement, après les avoir rencontrés, je les ai trouvés plutôt sympas. Même si je continue de penser que leur appellation Champions de bonheur est bancale. Mais après tout, il y a dans la vie plein de choses bancales qui fonctionnent, plein de personnalités bancales qui sont intéressantes et attachantes. Au moins, cette formule attire l’attention. Et puis, le projet tient la route : faire témoigner le plus de personnes possible sur leurs stratégies concrètes pour se rapprocher du bonheur, c’est une bonne idée. Pas de théories, pas de discours généraux : juste des témoignages, juste « ce qui a marché pour moi, dans mon cas ». Au cas où cela pourrait intéresser, aider, inspirer les autres.

Du coup, j’ai participé à une de leurs réunions : j’ai rencontré des gens tranquilles, intelligents, qui prenaient plaisir à réfléchir et discuter sur le bonheur. Pas des compétiteurs excités et soucieux de « défis », de « challenges » et autres absurdités stressantes fatigantes et vaines.

Et aujourd’hui, les connaissant, je les apprécie, ces Champions de bonheur. Malgré leur appellation, puisqu’ils y tiennent. Et puis (comme quoi quand on aime bien, on justifie tout) je me dis que Champions de bonheur, on peut aussi le comprendre d’une autre façon. Les dictionnaires (allez voir…) nous expliquent que le mot champion a plusieurs usages : le compétitif (être devant ses concurrents) et l’altruiste (défendre une cause).
Voilà, on va voir les choses comme ça : les Champions de bonheur vont défendre la cause du bonheur, en faire parler, inspirer les autres humains, faciliter sa contagion tout autour d’eux.

Alors, si ces histoires de bonheur vous intéressent, allez faire un tour sur leur site et - pourquoi pas ? - participez à la cuvée 2010 de leur championnat !

mercredi 12 mai 2010

Le problème avec les citations

Le problème avec les citations, c'est qu'on les sort de leur contexte.
Par exemple, qui a écrit : "Le droit des hommes prime le droit des états" ?

Un militant altermondialiste, un anarchiste, un défenseur des Droits de l'Homme ?
Thoreau, Martin Luther King, Jean-Jacques Rousseau ?

La citation est, comme ça, plutôt sympathique. Malheureusement, c'est Adolf Hitler qui en est l'auteur. Dans un passage de Mein Kampf où il affirme que la "race" aryenne, risquant d'être éliminée, n'a pas à respecter le droit pour s'imposer et survivre...

Ça n'enlève rien à l'intérêt de l'idée de désobéissance civile, chère à Thoreau, et parfois nécessaire. Mais ça doit nous pousser à référencer et sourcer mieux nos citations.

PS : merci à Jacques Lecomte, qui aborde dans son dernier livre, Élixir de bonheur, cette importante question des citations, et raconte l'anecdote de la citation d'AH.

mardi 11 mai 2010

Tout simplement bon


L’autre jour, en prenant mon petit déjeuner, je lisais machinalement (j'essaye de ne pas le faire en général, mais ce jour-là, j'avais craqué...) sur le paquet d’emballage de pain de mie de mes filles : « Cette brioche tranchée est bonne, tout simplement. »
Cette humilité publicitaire accrocha mon esprit. La déclaration de sobriété était suivie tout de même d’un bon blabla sur les vertus diverses du dit pain… Mais tout de même, l’accroche avait marché puisque mon attention avait été captée, et que je m’en souviens encore (de la phrase, plus de la marque du pain...).
C'est drôle comment, après avoir épuisé les superlatifs – « délicieux, savoureux, merveilleux » -, on en revient au simple, à l’essentiel, à l’élémentaire – « bon ». Enfin, presque élémentaire : comme c'est dur de s'en tenir au minimum, on lui rajoute quand même du superlatif, au "bon" : « bon, tout simplement »…
Je ne sais pas si notre époque est merveilleuse, comme on le disait autrefois avec ironie, mais elle est en tout cas bien intéressante à observer, non ?

Illustration : une briohe peinte par Chardin, ça donne envie, non ?

lundi 10 mai 2010

Vertige de la date


L'autre jour, en écrivant une lettre sur mon ordinateur, un de mes doigts dérape et au lieu d'écrire 2010, je tape 3010.
Je m'apprête à corriger, et tout à coup, je sens qu'un petit truc se passe en moi : 3010 ! Ce n'est pas dans 10 ans ou même dans 100 ans, ce n'est plus un futur proche et à peu près imaginable. C'est dans 1000 ans ! Comment sera la Terre dans 1000 ans ? Je suis perplexe et un peu effrayé de côtoyer cet abîme.
Du coup, pour retrouver un repère, je me tourne vers ce que je connais mieux : le passé. Il y a 1000 ans, en 1010, comment un humain du Moyen-Âge aurait-il pu imaginer un instant la vie que nous avons aujourd'hui, le monde tel qu'il va ?
Je repense à mes rêves d'enfant de machine à explorer le temps : bip-bip, allons voir comment sera la Terre en 3010...
Vertige ! Du coup, troublé, je me réfugie dans le réel d'aujourd'hui : "bon allez, au boulot, efface le 3, met un 2, et travaille, paresseux !"

Illustration : la belle affiche des Utopiales de Nantes en 2009.

vendredi 7 mai 2010

Dors en paix, pépé


Bon allez, je ne peux pas résister, après mon billet d’hier, au plaisir de vous raconter un souvenir de mon enfance, un grand petit moment !
En face du Café Riche, où mon grand-père m’amenait souvent boire une grenadine, il y avait un de ces magasins qu’on appelait à l’époque un « bazar », c’est-à-dire qu’en gros on y trouvait tout ce qui n’était ni alimentation ni vêtements. Il y avait des balais, des cartouches, des casseroles, de la lessive, des peignes… et des jouets ! Plein de jouets, une vraie caverne d’Ali Baba.
À l’époque, on avait moins de jouets que les enfants d’aujourd’hui, alors on était encore plus fascinés par eux.
Un jour que nous nous baladions avec mon grand-père, nous tombons devant la vitrine du magasin, qui venait d’être refaite : fabuleux ! Une scène du Far-West, avec plein de « petits soldats » : un village indien avec une tente et des guerriers à pied et à cheval ; plus loin, des cow-boys qui s’approchaient, avec une diligence ; plus loin encore, un fort de soldats, genre Fort-Alamo.
Avec mon grand-père, nous nous arrêtons, et nous commentons la scène pendant un bon moment. Puis au moment où nous allons repartir, il me regarde avec un sourire bizarre, et il me dit : « viens, on va rentrer dans le magasin ». Comme il connaissait tout le monde à Ganges, je me dit qu’il va bavarder avec le patron. Mais une fois rentrés, je l’entends dire : « on prend toute la vitrine, pour le petit ! » Et nous repartons avec un grand carton où tout a été soigneusement déposé par la vendeuse…
C’est drôle comme la bouffée de bonheur intense qui m’a alors imprégné a fixé pour toujours ce souvenir dans ma mémoire. J’en ai évidemment plein d’autres de mon grand-père, mais avec le recul, c’est toujours celui-là qui m’impressionne et m’émeut le plus. Parce qu’il n’était pas riche du tout. Et que ce jour-là, il avait sûrement cassé sa tirelire, juste pour prolonger cet instant d’émerveillement enfantin que nous venions de partager tous les deux…
Merci pour tout Papi, c’était fantastique de t’avoir connu !

PS : En hommage à vos grand-pères, écoutez la fabuleuse chanson du fabuleux Claude Nougaro : Berceuse à Pépé. Et lisez ses paroles belles et sobres.

jeudi 6 mai 2010

Ganges et le Gange


Alors que je parlais l’autre jour de mon enfance et de ma vie, une interlocutrice à l’esprit vif me fit remarquer une curieuse coïncidence – au moins sur le plan phonétique – entre la petite ville de Ganges, dans les Cévennes (dont mon grand-père était natif, et que j’aime beaucoup) et le fleuve Gange, en Inde (que j’aime beaucoup aussi, et dont j’avais observé le cours il y a quelques années, lors d’un passage à Rishikesh avec Matthieu Ricard).
Je n’avais jamais fait attention à ça. Je continue de penser que c’est un hasard absolu. Mais ça me fait sourire d’imaginer que quelque obscure quête ait pu me pousser de la petite ville cévenole où j’ai tant de souvenirs d’enfance vers le plus majestueux des fleuves et l’Inde immense…

Illustration : le grand pont sur le Gange à Rishikesh.

mercredi 5 mai 2010

Dire du mal sans en faire

Jules Renard, dans son Journal : "Chez moi, un besoin presque incessant de dire du mal des autres, et une grande indifférence à leur en faire."
Confession lucide d'un brave gars tourmenté par ses ambitions déçues (à la célébrité) et ses limitations (à être heureux). Jules n'a jamais réussi à s'apaiser des démangeaisons du présent (il fréquentait trop le petit milieu littéraire parisien) et à se remettre de son passé (son enfance où on ne lui avait pas appris à être heureux). Il ne voulait de mal à personne ; malheureusement, dire du mal, n'est-ce pas déjà, d'une certaine façon, en faire ?

mardi 4 mai 2010

Les oreilles qui sifflent


Vous connaissez cette expression qu’on utilise quand on dit (ou qu’on entend dire) du mal de quelqu’un : « il doit avoir les oreilles qui sifflent. »
Mais alors, si on a les oreilles qui sifflent quand on dit du mal de nous, que se passe-t-il lorsqu’on dit du bien de nous ? On a les oreilles qui chantent ? On se souvient tout à coup d'une chanson qu'on aime et on se met à la fredonner ? Ou tout simplement, c’est dans ces moments qu’on se sent heureux sans raison ?
J'aime bien cette dernière idée : quand on se sent heureux sans raison, comme ça, d'un bonheur tombé du ciel, c'est que quelqu'un est en train de dire du bien de nous. Une façon comme une autre de travailler la gratitude, en nous rappelant de relier nos moments de bonheur à d'autres humains…

lundi 3 mai 2010

Dessins d’enfants


C’est pendant les vacances de Pâques. Nous sommes deux familles, avec 6 enfants.
Un après-midi, une de mes filles commence à dessiner dans la grande cuisine de la maison que nous occupons des objets posés sur la table, et peu à peu tous les autres arrivent, regardent, commentent et se mettent à vouloir dessiner eux aussi. Choix des sujets (une nature morte composée d’une bouteille et de fruits), quelques conseils d’une maman artiste, puis c’est parti.

Évidemment, au bout d’un moment, l’enthousiasme fait place à quelques doutes (« C’est comme ça qu’il faut faire ? C’est pas trop grand, ce truc ? »). Puis à des certitudes négatives (« Non, c’est trop moche, j’arrête »).
Viens alors le temps du coaching des parents, qui pendant ce temps-là préparent le repas du soir en bavardant entre eux : « - Mais non, n’arrête pas, c’est très bien ! - Non, c’est pas bien, c’est moche.
- Mais si c’est bien ! Allez, continue… »
Le fait que cela se fasse en groupe ne simplifie pas les choses : on compare et on se désole encore plus fort !
Je m’approche doucement, et je commence à remonter le moral du plus abattu, sentant qu’il risque de démissionner : « - J’aime bien ton dessin. – Non, il me plaît pas, il n’est pas ressemblant. Regarde, ma bouteille n’est pas du tout comme la vraie. »

Ah zut, ça c’est exact : son dessin ne ressemble pas du tout à ce qu’on voit. Comment le remotiver sans lui mentir ? Je cherche un peu, puis ça me vient : « C’est juste, ta bouteille est différente. Mais elle est bien, quand même. Et puis c’est la tienne. Elle n’est pas obligée de ressembler exactement au modèle. »
Ça le rassure un peu, mais sans plus. Alors je continue : « Et puis tu sais, les pommes et la bouteille vont disparaître : on va les manger, la boire. Et ils ne seront plus là. Mais ton dessin, lui, on va le garder en souvenir, il restera pour toujours. »
Cette idée a l’air de l’intéresser plus que les autres. Il arrête de gémir, et se remet à dessiner. Et il termine son oeuvre. Puis il repart jouer. C’est oublié.

En y repensant un peu plus tard, je me demande encore pourquoi cet argument-là sur son dessin l’avait touché et remotivé, et pas les autres.
Peut-être que nous avions alors effleuré l'idée d’éternité de l’œuvre d’art face à l’éphémère des choses de la vie ?
Ou peut-être qu’il en avait marre de mes raisonnements, et qu’il s’est dit que terminer vite fait le dessin lui permettrait d’échapper au débat…

Illustration : une des oeuvres d'art (j'ai effacé le nom du signataire pour ne pas contrarier sa modestie).