vendredi 21 décembre 2012

Solstice


Une bonne nouvelle (parmi d'autres) aujourd'hui, qui tient en un mot : solstice.

Le jour cesse de se réduire au profit de la nuit, et dès demain, le temps de lumière recommencera à gagner sur le temps d'obscurité.

Chaque année ce passage me réjouit : en plein coeur de l'hiver, le soleil va se donner du mal pour nous aider à attendre le printemps. Il va nous donner de la lumière pour que nous supportions mieux le froid.

Psycho Actif va fêter ça en prenant des vacances. Nous nous retrouvons, du moins je l'espère, le 7 janvier.

D'ici là, passez de bonnes fêtes !

Illustration : "Courage les gars, c'est bientôt la fin, le solstice est là !"

lundi 17 décembre 2012

Ça fait longtemps qu’on n’a rien cassé !


Nos univers mentaux nous accompagnent discrètement, au travers de chacun de nos actes, sans que nos proches ne s’en rendent compte. À moins que nous ne les exprimions...

La scène se passe il y a quelque temps, chez nous, dans la cuisine. C’est au tour de ma deuxième fille de ranger la vaisselle dans le lave-vaisselle, et elle s’en occupe en silence pendant que le reste de la famille dessert la table et range.

Tout à coup, je vois son visage qui s’illumine du sourire de ceux qui viennent de penser à quelque chose de drôle ou d’intéressant, et elle s’écrie alors : « Dites-donc, ça fait longtemps qu’on n’a rien cassé ! »

Toute la famille éclate de rire : c’est vrai qu’il y a régulièrement un verre ou une assiette qui volent en éclats, mais ce qui est savoureux, c’est que c’est souvent d’elle que ça vient, ces bris de vaisselle.

Et il n’y a donc qu’elle qui pouvait tout à coup, voyant à ce moment qu'elle n’avait encore rien cassé, prendre conscience que tout allait bien, et s’en réjouir !

Ce jour-là, ma fille nous donnait une double leçon.

La première était une leçon de psychologie cognitive : tout ce que nous faisons est accompagné d’un bavardage intérieur, mélangeant ce qui se passe, et nos expériences et nos attentes envers ce qui se passe. Ce que nous vivons de l’extérieur ressemble à ce que tous les autres vivent, mais à l’intérieur, cela n’appartient qu’à nous.

La deuxième était une leçon de psychologie positive : même à propos de choses simples, se réjouir de ce que cela se passe bien.

PS : il y a eu, peu après, une troisième leçon pour moi : un matin où elle venait de casser un verre (en ne prêtant pas assez attention à ses gestes) je me suis souvenu de la scène, et j'ai instantanément arrêté mon réflexe de rouspéter, pour la regarder en souriant et lui dire : "tu peux faire un peu plus attention ?!". Je me suis souvenu de ma rigolade des jours précédents, un vrai cadeau, et me suis dit que ça valait bien un peu de vaisselle cassée de temps en temps...

lundi 10 décembre 2012

Au cimetière


La dernière fois que je suis allé me recueillir seul sur la tombe de mon père, j’ai attentivement observé ce qui se passait dans ma tête.

Rien à voir avec la manière dont les choses se déroulent lorsque nous sommes plusieurs : il y a alors plus d’actions (mettre de l’eau pour les fleurs, nettoyer un peu la tombe) et de bavardages.

Lorsqu’on est tout seul, c’est bien différent. On est confronté à son monde intérieur. On a le temps de se regarder faire, de s’écouter penser, de s’observer ressentir.

Ce jour-là, je me suis d’abord aperçu que j’étais habité de vagues pensées et images qui allaient et venaient en désordre. Souvenirs d’enfance et souvenirs de sa fin de vie. Je ne m’accrochais à aucun, les laissant juste apparaître et disparaître. Tout en continuant d’être dans le moment présent, de regarder la tombe, d’avoir des pensées parasites, d’entendre les bruits de la vie autour de moi.

Puis j’ai eu envie de lui parler, de le saluer, de lui adresser des messages depuis ici-bas. Envie de reprendre un peu le contrôle sur ce désordre. Avec l’impression que les dernières fois que j’étais allé au cimetière, je n’avais pas vraiment « parlé » à mon père. Qu’il fallait que, au moins ce jour-là, je ne me contente pas de laisser vagabonder mon esprit en pensant à lui, mais que j’organise un peu le truc.

Alors je me suis centré sur de la gratitude, je l’ai remercié pour ce qu’il m’avait apporté : le goût de l’effort, le souci des autres, l’amour des livres, la prudence avec les plaintes. Remercié pour avoir travaillé dur afin de nous permettre, à mon frère et moi, de faire les études qu’il n’avait jamais pu faire. J’ai laissé ce sentiment de gratitude se répandre en moi. Je l’ai senti réchauffer ma poitrine, j’ai respiré un peu plus fort pour le diffuser et le répandre partout dans mon corps. Je suis resté quelques minutes en connexion avec mon père sur ce canal de gratitude. Je voyais les bons souvenirs écarter doucement les moins bons, se frayer une place au premier rang de ma mémoire et de mes émotions. Et je sentais qu’à ce moment, c’était la meilleure des attitudes.

J’avais aussi l’impression étrange qu’à cet instant je transmettais quelque chose à mon père. Et que cette transmission me remplissait moi aussi. Je ressentais physiquement ce que l’on dit souvent à propos des dons qui enrichissent et nourrissent la personne qui donne.

Puis doucement je suis revenu dans le cimetière. Je me suis remis à regarder la tombe, mon esprit a recommencé à vagabonder : sur les autres noms, ceux de mon grand-père, de ma grand-mère.

Je suis reparti tout doucement dans les allées, en regardant attentivement chaque stèle, en me sentant lié à tous les morts qui m’entouraient. Sentiment rassurant de continuité humaine. Je crois que c’est l’historien Philippe Ariès qui faisait démarrer la civilisation avec le culte rendu aux morts. À cet instant, j’en suis persuadé. Comment pourrions-nous vivre dans un monde où toute trace physique et tout souvenir des défunts aurait disparu ?

Illustration : les hommes s'habillaient volontiers comme ça, dans les années 1970.

lundi 3 décembre 2012

Après-coup


C’est lors d’une consultation avec un patient en voie de guérison. Nous sommes en fin de thérapie, en phase de fignolage, de réglages fins, de travail sur ses petits automatismes séquellaires. C’est important de continuer d’accompagner un peu les patients dans ces moments, dans une optique de prévention des rechutes (les troubles psychologiques exposent souvent à des rechutes).

Avant cette phase, nous avons eu de nombreuses difficultés à améliorer chez lui (un trouble obsessionnel, des attaques de panique, une anxiété sociale). À côté de ces troubles étiquetés, il avait aussi une forte tendance à ressentir de la honte, de la gêne, à se sentir inférieur, « toujours de trop », bref à être parasité par des appréhensions sociales (liées entre autre à la vie de ses parents, qui avaient soufferts tous les deux de maladies psychiques, et s’étaient rencontrés à l’hôpital psychiatrique).

Il a fait dans tous ces domaines de grands progrès, dont je reste moi-même admiratif. Mais il reste encore de petits réflexes inadéquats dans différents coins de son esprit.

Il me raconte ce jour-là une anecdote survenue cet automne : un matin, il se réveille sévèrement grippé. Mais il hésite et doute avant de se permettre d’aller chez médecin : « je ne vais pas le déranger pour ça, quand même, une simple grippe… ». Puis, il se décide à y aller. Mais dans la salle d’attente, il continue de se demander : « suis-je assez malade pour mériter de lui prendre son temps ? Il y a sûrement des gens qui vont beaucoup plus mal…» Mais il résiste à l’envie de repartir. La consultation se passe bien, le médecin lui confirme qu’il a bien fait de venir. Il sort soulagé, à la fois d’avoir un traitement, et aussi de ne pas avoir eu l’impression de déranger.

À ce moment, je l’arrête : « Vous vous disiez quoi, juste à cet instant ? Sur le pas de la porte du médecin ? »
Lui : « Je me disais : tu vois, tu es bête, il n’y avait pas de problème à venir. »
Moi : « Et puis ? »
Lui : « Et puis ? Euh, rien. Je suis reparti et je suis passé à autre chose… »

Je garde le silence un long moment en hochant la tête et en souriant. Il comprend que pour moi, cette petite séquence n’est pas anodine, et commence à sourire lui aussi.

Je le relance : « Si le médecin vous avait fait une critique, ou vous avait semblé contrarié par votre venue, vous auriez tourné la page aussi vite ?
- Non, non, sûr que j’aurais été très gêné, et que j’aurais ruminé comme un fou !
- Mais là vous n’avez pas ruminé la bonne nouvelle ?
- Non, ce n’est pas dans mes habitudes de ruminer ce qui va bien ! (il rigole)
- Vous n’y avez même pas réfléchi après-coup ?
- Pas vraiment, non. Juste là, maintenant, avec vous.
- Alors, on va travailler à ça ! Si après des peurs comme celles-là, liées à vos vieux réflexes de pensée : “tu ne mérites pas, etc.“ vous ne dégagez pas quelques minutes à prendre conscience de ce qui s’est passé, vous allez mettre beaucoup de temps à éteindre ces vieux automatismes. Quand vous venez de vivre quelque chose qui infirme vos croyances négatives, prenez le temps de savourer, d’ancrer l’événement dans votre mémoire, de le ressentir physiquement, pas seulement de le noter intellectuellement et de passer à autre chose. Respirez, dites-vous : “voilà ce qui vient de se passer, voilà comment ça bouscule tes trouilles. Souviens-toi de ça ! Souviens-toi…“ Là, vous vous dites juste : “tu es bête d’avoir eu peur“, puis vous vous tournez vers l'action suivante. Non ! Travaillez l’après-coup, c’est très important. Si ça n’avait pas marché comme ça, vous auriez ruminé et ressassé votre échec. Vos vieux démons auraient dansé de joie et célébré leur victoire : “on t’avait bien dit de ne pas le faire !“ Alors, pensez aussi à prendre le temps de célébrer votre succès. »

Lorsque les choses se passent bien dans nos vies, et surtout lorsqu’elles se passent bien en dépit de nos prédictions ou de nos habitudes, prenons le temps d’observer et de savourer. De ressentir. De donner de l’espace mental à cet événement favorable qui infirme nos croyances. De l’espace maintenant, dans l’instant. Puis stockons ce bon souvenir en bonne place dans notre mémoire, pour qu’il entrave un peu nos vieux automatismes la prochaine fois.

Illustration : Camarades, il est temps de vous libérer de l'oppression du passé (Prague, 1968, par Josef Koudelka).

lundi 26 novembre 2012

Histoires d’écrans (encore)


Il y a quelque temps de cela, je bavardais avec Jon Kabat-Zinn, le rénovateur visionnaire des approches de méditation basée sur la pleine conscience, à propos des méfaits des écrans. Chacun de nous avait ses petites anecdotes à ce propos…

Voici la sienne…

Il y a quelque temps, il animait une rencontre sur la méditation dans une entreprise californienne branchée, du genre de Google ou quelque chose comme ça. À un moment, il propose un petit exercice de quelques minutes au public. Tout le monde s’exécute, ferme les yeux, respire en pleine conscience. Tout le monde sauf un gars qui continue de pianoter discrètement sur son smartphone. Jon s’approche pour voir ce qu’il fabrique au lieu de faire l’exercice. Le bonhomme très gêné range vite son matériel, ferme les yeux et fait comme les copains. Mais à la pause, Jon va l’interroger, et le gars confus lui avoue qu’avant de commencer l’exercice, il voulait absolument tweeter l’info pour annoncer à ses followers : « Devinez quoi ?! Je suis en train de faire de la méditation avec le célèbre Jon Kabat-Zinn ! »

Et voici la mienne…

L’autre jour, j’animais un petit atelier sur le thème de l’équilibre émotionnel. La plupart des participants étaient attentifs ; mais beaucoup d’entre eux, régulièrement, consultaient l’écran de leur smartphone. Et l’un d’entre eux y était carrément collé, levant juste un œil vers moi de temps en temps, quand je faisais rire la salle, pour voir ce qui se passait et qui lui échappait.

À un moment, je parle d’une citation dont j’avais oublié l’auteur. Quelques minutes plus tard, le bonhomme en question m’interrompt pour me donner la bonne réponse : il avait entendu que je séchais, et il avait cherché sur Internet et retrouvé la citation et l’écrivain.

Au lieu de m’écouter, il préférait manifestement surfer à la recherche d’informations. Puis, à un moment, je me suis aperçu qu’il avait rangé son engin, et qu’il m’écoutait attentivement. Enfin presque. Car au bout d’un moment, manifestement pas du tout habitué à écouter sans rien faire, à faire marcher son cerveau sans la stimulation des écrans, il commença à somnoler.

À la pause j’allais lui parler pour voir un peu comment ça se passait dans sa tête. Je voulais aussi comprendre pourquoi à un moment il s’était mis à m’écouter. En avait-il fini avec des urgences (ou pseudo-urgences) qu’il devait régler ?

Pas du tout. Il m’avoua juste ceci : « En surfant sur le Web à partir de votre nom, je me suis aperçu que vous aviez écrit des trucs assez intéressants. Alors je me suis dit que j’allais vous écouter… »

Moralité :
1) avant de juger si quelqu’un est « écoutable » il cherchait les jugements sur le Net à son propos, au lieu de se faire une opinion par lui-même, en écoutant et observant en direct ;
2) il n’avait pas de réelle urgence à traiter à distance ce matin-là (la preuve, sa vitesse de réaction lorsqu’il m’entendit dire que je ne me souvenais pas d’un auteur) ;
3) son cerveau était devenu presque incapable de rester en éveil face à la vraie vie (un conférencier) et était devenu accro au rythme du Net (zapper, changer, réagir à ce qui bouge et clignote ; s’endormir devant tout le reste) ;
4) j’ai bien l’impression qu’il y a de plus en plus de personnes dans son cas ;
5) il y a du boulot pour nous autres humains, avant d’apprendre à bien gérer ces écrans merveilleux et sataniques…

Illustration : notre cerveau devient de plus en plus accro à ce qui brille et qui bouge. Saurons-nous un jour réapprendre à contempler l'immobile ?


lundi 19 novembre 2012

Poète en action


Ça s’est passé il y a quelques jours, lors d’une rencontre de Christian Bobin avec ses lecteurs, au 27 rue Jacob à Paris.

J’ai toujours un peu peur quand je vais écouter des écrivains que j’aime, poètes ou romanciers.

J’ai peur parce que, souvent, ce n’est pas leur truc de parler de leurs œuvres. Leur truc, c’est de les écrire, pas forcément de les expliquer. Et parfois, ils sont très mal à l’aise, embrouillés, confus, ternes, inintéressants. Décevants, en un mot. On avait aimé leurs livres et on réalise que la personne qui l’a écrit est ordinaire, banale, au moins à l’instant où elle est devant nous, au moins lorsqu’elle s’efforce de rentrer dans les habits de l’orateur ou du pédagogue. Nous l’avions idéalisée ; nous avions imaginé que son talent d’écriture se retrouverait à l’oral, dans sa présence, sa conversation. Nous ne devrions pas être déçus, puisque c’est l’œuvre seule qui compte. Mais nous espérons toujours la perfection, même chez les autres.

Bon, bref, j’étais inquiet pour l’ami Bobin : allait-il être aussi génial, bouleversant, retournant que dans ses livres ? J’étais allé bavarder un instant avec lui en coulisses, avant qu’il ne démarre : il était tranquille et un peu ému, se demandant comment il allait remplir cette heure de rencontre avec ses lecteurs, mais riant de bon cœur à nos plaisanteries, avec son grand rire débordant, le rire de ceux qui ont traversé la souffrance.

Dès qu’il commença à parler, mes inquiétudes s’envolèrent.

Ce fut un enchantement.

Joyeux, vivant, souriant, content d’être là, Christian Bobin nous parla de poésie, mais surtout nous délivra une parole poétique. En direct, son cerveau et ses lèvres fabriquaient de la poésie devant nous. Nous, bouches bées, yeux écarquillés et oreilles grand ouvertes. Une poésie encore imparfaite (plusieurs fois, il se reprit, mécontent d’un mot ou d’une tournure) mais déjà poésie. Je n’avais jamais encore assisté de si près et de façon si claire au spectacle d’un auteur en train de dire le monde dans l'instant, en langage poétique. Je jubilais. Il y avait le fond : sa vision de la vie est simple, forte et juste. Mais ce soir-là, j’étais surtout retourné par la forme : la puissance des mots et des images.

Bobin croit au pouvoir et à la dignité des mots. Pour lui, la poésie n’est pas une petite ornementation de notre quotidien, une petite chose fragile, mais une force importante et indispensable, comme le Verbe de Saint-Jean. Je pense comme lui que les mots que nous choisissons et assemblons peuvent avoir un pouvoir transperçant, entrer dans nos carapaces, liquéfier nos certitudes, et nous toucher droit au cœur, nous bousculer, nous remuer, nous mettre cul par dessus tête.

À un moment, alors que Bobin parlait, un de mes livres, qui était exposé sur les étagères derrière lui, a basculé et s’est précipité au sol, face contre terre. Hommage fracassant et prosternation joyeuse.

Nous quittâmes tous la soirée le coeur léger et enfièvré.

Illustration : Bobin et ses lecteurs passant un joyeux moment (à moins qu'il ne s'agisse de Max et les maximonstres).

lundi 12 novembre 2012

Temps d’écran et temps de vie


C’est lors d’un long coup de téléphone professionnel. À un moment, mon interlocutrice doit raccrocher et me dit qu’elle me rappelle dans 2 ou 3 minutes pour poursuivre la conversation.

Comme je suis assis à mon bureau, devant mon ordinateur, mon premier réflexe est d’en « profiter » pour regarder mes mails. Je commence donc : ouh la ! il y a en a déjà plusieurs qui sont arrivés depuis le début de notre échange. Je vais peut-être les lire et leur répondre, ça me fera gagner un peu de temps.

Mais ma main se bloque tout à coup sur le clavier ; mon esprit se réveille et change de registre ; je prends conscience que je ferais mieux de mettre ces quelques minutes à profit pour faire autre chose, au lieu de rajouter du stress (vite, répondre à quelques mails) au stress (de cet échange, qui nécessite pas mal de concentration).

Je ferais mieux de respirer, de détendre mes épaules, de me lever et m’étirer, de marcher un peu dans mon bureau.

Je ferais mieux de continuer tranquillement de réfléchir à la discussion en cours, même si elle est momentanément interrompue.

Je ferais mieux de m’approcher de la fenêtre et de regarder le ciel, les nuages.

Bref, je ferai mieux de ne pas me coller sur mon ordinateur, alors que je sens bien, tout a coup (mais sans ce petit décalage de ma conscience, je m’apprêtais à passer outre) que je suis un peu fatigué et tendu. Pas grand chose, juste un peu. Mais si je ne décroche pas, si je ne laisse pas mon cerveau et mon corps se reposer, je les pousse au-delà de la zone de confort et sans doute d’efficacité.

Alors, évidemment, maintenant que j’ai compris, que tout est clair, je fais ce qu’il faut faire, sans hésiter, dans ces moments : je m’approche de la fenêtre, je respire tranquillement, je regarde le ciel et je prends conscience de tout ce qui est là à cet instant et dans ma vie.

Et j’attends que le téléphone sonne. Tranquillement. Content et conscient d’exister, au lieu de rester fermé et crispé.

Et quand il sonne à nouveau, je m’aperçois, alors que je n’ai pas réfléchi délibérément à notre discussion, que tout un tas d’idées plus claires me sont venues pendant que je laissais mon corps et ma cervelle respirer.

Et aujourd’hui encore, quelques semaines après ce micro-événement, je m’en souviens, parfaitement, comme d’un instant de vie agréable. Et je ressens une minuscule bouffée de bonheur en songeant à ce petit décalage qui a éclairé ma journée, au côté de tant d’autres…

Illustration : toujours penser à regarder le ciel par la fenêtre, même quand il y a beaucoup de travail (une répétition au Bolchoï, à Moscou, par Cornell Capa).

lundi 5 novembre 2012

Mort et consolations


On nommait autrefois consolation un ouvrage rédigé à l’occasion de la mort de quelqu’un, et à l’intention de ses proches. Le but en était double : témoigner de son affection et réconforter, mais aussi parler de la vie et de la mort, au-delà de la personne disparue. Les consolations les plus célèbres sont celle de Sénèque, et les écoliers apprenaient autrefois le poème de Malherbe, Consolation à Monsieur du Perrier sur la mort de sa fille.

Aujourd’hui, il existe de très bons livres de psychologie qui jouent ce rôle auprès des personnes endeuillées, du moins lorsqu’elles souhaitent être accompagnées et « consolées ». Par exemple, celui d’Alain Sauteraud : Vivre après ta mort, ou celui de Christophe Fauré : Vivre le deuil au jour le jour.

Puis il y a la parole de certains poètes. Christian Bobin en parle dans un entretien récent accordé au magazine La Vie. Extraits :

« Mon père, mort il y a maintenant 13 ans, n’arrête pas de grandir, de prendre de plus en plus de place dans ma vie. Cette croissance des gens après leur mort est très étrange. »

« Comme la pépite d’or trouvée au fond du tamis, ce qui reste d’une personne est éclatant. Inaltérable désormais. Alors qu’avant notre vue pouvait s’obscurcir pour tout un tas de raisons, toujours mauvaises (hostilités, rancoeurs, etc.), là, nous reconnaissons le plus profond et le meilleur de la personne. »

Les poètes sont bien plus doués que les psys pour consoler. Mais il faut faire l’effort de tendre l’oreille pour bien écouter leurs mots. Ils nous parlent souvent de la mort non comme d’un phénomène angoissant ou absurde (une souffrance sans explication), non comme d’une énigme à résoudre (comme tentent de le faire les médecins) mais comme d’un mystère à accepter (il y a un sens, mais qui nous est caché).

Nous avons toujours un peu de mal avec les mystères…

Illustration : une stèle basque, sur les hauteurs qui surplombent le village d'Ainhoa, vers le col des Trois Croix.

lundi 29 octobre 2012

Un moment parfait


C’est un matin d’automne, tôt (6h30) dans la cuisine, nous prenons le petit déjeuner avec ma deuxième fille. Il fait noir dehors. Parfois nous sommes encore endormis, et la conversation est sommaire. Mais parfois, ça discute ferme. C’est le cas aujourd’hui.

- « Papa, hier j’ai vécu un moment parfait !
- Wow, cool ! C’était quoi ?
- Eh bien, j’étais sortie du lycée avec mes copines, et on était dans un restaurant trop trop sympa et trop pas cher {un jour par semaine, comme elle dispose de 2 heures, nous lui permettons de ne pas manger à la cantine}. J’étais là, devant mon assiette, et tout à coup, je me suis sentie comme en train de sortir de mon corps et de regarder ce qui m’arrivait : j’étais là, bien au chaud et au sec alors qu’il pleuvait et faisait froid dehors, toutes mes amies étaient là autour de moi, on mangeait des bonnes choses, et en plus, il y avait des morceaux de Gainsbourg qui passaient en boucle {son chanteur favori}. C’était trop trop stylé !
- C’était le bonheur !?
- C’est ça : pur bonheur ! Bon, ça n’a pas duré, après il a fallu retourner en cours, et c’était chaud, le programme de l’aprèm ! Mais ça m’a fait drôle de sentir ce moment comme ça, du dedans et du dehors. »

Nous parlons alors un peu de théorie, du bonheur comme prise de conscience des instants plaisants de notre vie. Pas bien longtemps, car le temps presse, il faut aller s’habiller et se brosser les dents...

Mais ça m’a procuré à moi aussi du bonheur, d’entendre ma fille me raconter ce petit moment de transcendance d’un moment agréable. Bonheur de savourer le bonheur des autres…

Illustration : un autre exemple de moment parfait, pour ce petit cavalier danois photographié dans le château de Rosenborg. Ce n'est que pour un instant, ça ne dure pas forcément longtemps, mais quelle importance ?

lundi 22 octobre 2012

Ce qui est important


Lors du récent colloque Émergences de Bruxelles, Pierre Rabhi nous disait : « Les humains se demandent souvent s’il existe une vie après la mort. Nous ferions mieux de nous poser la question de la vie que nous sommes en train de mener avant notre mort ! »

Petits mots et grands effets ; dans mon cas en tout cas… Dans le train qui me ramène à Paris, le lendemain, je réfléchis à ces paroles, et surtout à la manière de les faire vivre au quotidien.

À chaque instant, ou du moins le plus souvent possible, me demander : que suis-je en train de faire de ma vie ? Suis-je en train de m’éloigner de mes priorités et de mes valeurs ? Et si c’est le cas, depuis combien de temps ?

C’est ce dernier point qui compte. Bien sûr que nos existences vont nous éloigner régulièrement de là où nous voulons aller, bien sûr que nous allons perdre le cap. Mais quels efforts mener alors ? Pas forcément, ou pas seulement, de très grands efforts, pas seulement de grand changements de vie. Mais aussi de petits efforts de rien du tout, maintenant, tout de suite. Des efforts plus près encore de chaque instant de notre quotidien.

Quelle que soit ma journée : ai-je souri ? ai-je donné ? ai-je aidé ? ai-je aimé ? ai-je admiré ? au moins une fois ? au moins un peu ?

Si je l’ai fait, alors j’ai vécu. Alors, tout pourra arriver. Alors, tout est bien…

Illustration : quelque part au Québec, le dialogue de la vie et de la mort...

vendredi 5 octobre 2012

Que la lumière continue de vous éclairer


C'est un soir d’hiver de l’année dernière, à Sainte-Anne, alors que la nuit commence à tomber de plus en plus tôt, et que je viens de terminer mes consultations. Je sors du service j'enlève l'antivol de mon vélo, et je découvre en rangeant mon cartable, un petit mot accroché à une des sacoches. Le papier est un peu jauni, il doit être là depuis quelque temps.

Il porte ces quelques lignes : « Que la lumière continue de vous éclairer. Soyez béni. Merci. » Et un petit visage souriant dessiné.

Je me demande qui a bien pu mettre ce papier là ? Qui a eu besoin ou envie de me dire merci ? Et comme c’est tout près de la lumière arrière de ma bicyclette, je ne sais pas si c’est une allusion à son travail de catadioptre, d’indiquer aux voitures que je suis là, dans la nuit, pour ne pas me faire renverser, pour protéger ma vie. Ou si c’est une autre lumière à laquelle la phrase renvoie. Venue de beaucoup plus loin et de beaucoup plus haut. Et beaucoup plus puissante.

Je n’ai aucune réponse à mes questions, mais je suis ému jusqu’à la moelle. Je reste debout quelques minutes avec le tout petit bout de papier entre les mains. Je le mets ensuite dans la poche de ma chemise, tout contre mon cœur. Et je pars en pédalant dans la nuit froide de l’hiver qui tombe, tout plein de joie et de gratitude. Aucun coup de pédale ne me coûte, l’air froid ne brûle même pas mon visage. Je me sens juste infiniment chanceux et heureux. Savoir qu'un être humain a pensé à nous avec affection, ne serait-ce qu'un instant, peut nous nourrir au-delà de tout.

Qui que tu sois, merci à toi. Que cette même lumière éclaire aussi ta propre vie.

PS : PsychoActif va se mettre en repos pour 15 jours, nous nous retrouvons le 22 octobre. Que la lumière continue de vous éclairer...


vendredi 28 septembre 2012

Koala sous antidépresseur


C'est un de mes plus anciens patients à Sainte-Anne. Il souffre d'un TOC bien stabilisé sous médicament ; il n'a jamais voulu faire de TCC ni d'autre psychothérapie. Mais il souhaite que je le suive régulièrement, car il a parfois des petits passages à vide dépressifs ; il est rassuré de savoir que notre lien reste actif.

Nous nous voyons donc de temps en temps pour faire le point, comme on dit. Je vérifie son moral, je m'assure qu'il ne se replie pas trop sur lui, que ses rituels ne prennent pas trop de place dans son quotidien. Nous parlons de ses joies et de ses peines.

Il est à la fois très gai et très mélancolique, plein d'humour et doté d'un regard mordant sur notre monde. Un humain véritable et attachant...

Il m'envoie souvent des cartes postales drolatiques, dont celle qui figure ici : c'est son autoportrait en koala (débonnaire et rondouillard, mais doté de bonnes griffes) sur lequel il a scotché un comprimé de son médicament-béquille.

Il est pour moi le parfait exemple de la manière dont on peut avoir une vie intéressante et nourrissante, malgré la maladie. Avec l'élégance de sourire de ses détresses et l'intelligence d'aimer tout le reste de sa vie.

Nous n'y arrivons pas toujours, c'est vrai. Mais on se sent tellement en paix toutes les fois où l'on parvient à vivre sur ce registre...

lundi 24 septembre 2012

Rencontre avec un poète


Une amie m’a permis de rencontrer le poète Christian Bobin, que je vénère. J’étais comme sur un nuage, ému et heureux, sans avoir rien de beau à dire mais sans en souffrir : le voir brièvement et échanger quelques banalités me suffisait. Ne presque rien prendre de son temps, ni de son énergie. Je préfère le lire que lui peser.

Bobin regarde ses interlocuteurs avec un vrai regard. Dans ma vie j’ai rencontré beaucoup d’auteurs ou de personnes que l’on dit connues. Et je sais maintenant observer leurs yeux. Je sais qui fait semblant de regarder et d’écouter, en attendant simplement que la formalité ou la corvée se termine. Et qui écoute ou regarde vraiment, même si ça ne dure que quelques secondes. Bobin regarde et écoute vraiment. C’est sans doute pour cela que les mondanités le fatiguent et qu’il a besoin de la solitude. Ceux qui ne regardent ni n’écoutent ne sont pas fatigués par les superficialités.

Le soir, j'ai commencé à lire son livre, que mon amie m'avait offert, son dernier livre : L’Homme-joie.

Il y avait une dédicace pour moi qui m’a enchanté. Je ne vous la dis pas, pour ne pas l’user, et parce que je ne veux pas savoir si elle est unique ou non ; aucune importance, moi je la lis comme telle.

Comme c’était un bel exemplaire, numéroté, sur vélin, j’ai tranché doucement les pages pour en libérer les mots, comme on le faisait autrefois, avec un très vieux couteau d'artisan, que je suis allé aiguiser auparavant. Oui, je sais, ce sont de plaisirs passéistes. J’aime le passé, parce qu’il ne m’écrase jamais, mais me nourrit.

Le premier récit était tellement incroyable de beauté que j'ai tout de suite arrêté ma lecture. La première fois de ma vie que j’ai fait cela, une lectio interrupta, c’était en lisant L’Insoutenable légèreté de l’être, de Milan Kundera, en 1984. S’arrêter pour ne continuer que le lendemain. Et dans l'attente, plutôt relire et savourer qu’avancer et avaler le livre sous l'emprise du plaisir et de l'avidité d'émotions. Garder intact le bonheur de découvrir chaque page d'un auteur qui nous renverse. Il y a quinze récit dans ce livre. J’en savourerai un par jour : je vais passer deux semaines extraordinaires.

Merci Sophie.

Illustration : le poète par Catherine Hélie. Et un extrait des premières pages : "J'ai passé ma vie à lutter contre la persuasive mélancolie. Chaque sourire me coûte une fortune."

mercredi 19 septembre 2012

Marron


Un matin ensoleillé de septembre, vers 8h30. La lumière est encore basse et rasante, elle caresse les châtaigniers dont les feuilles commencent à roussir : le mélange du vert et du brun est splendide. Je respire la beauté de toutes mes forces, dans cette petite rue anonyme et un peu moche, au bout de laquelle j’ai un rendez-vous administratif qui m'ennuie d'avance.

Tout à coup, comme je marche la tête en l’air, un sourire au lèvres, sans regarder le sol, mon pied heurte un beau marron tout brillant, qui vient de quitter sa bogue à peine tombé de l’arbre.

Il entame une petite course pleine de folie et de rebonds imprévus, dus à sa forme pas tout à fait ronde. Et soudain, comme une madeleine de Proust, tout me revient des automnes de mon enfance.

À l’époque je donnais les coups de pieds dans les marrons de manière délibérée, essayant de les conduire droit devant moi sur le trottoir jusqu’à l’école. Si j’y arrivais, bon augure : je ne passerai pas au tableau, je gagnerai des billes, et toutes les bonnes choses de la vie d'un écolier m'arriveraient ; s’ils tombaient du trottoir : mauvais, mauvais...

Tout resurgit : l’odeur des couloirs de l’école, désertés durant tout l’été ; la sonorité des murs renvoyant les cris des élèves ; l’alignement des porte-manteaux ; le choix d’une nouvelle table, d’un nouvel endroit où passer l’année ; l’excitation de la rencontre avec de nouveaux maîtres ou maîtresses, de nouveaux manuels, de nouvelles matières.

L’univers des rentrées du passé explose à chaque rebond de la course folle du marron. Je me suis arrêté de marcher, émerveillé. Envie de redonner un coup de pied dans le marron, pour voir si tout va recommencer. Mais non, je ne veux pas savoir (et si ça ne remarchait plus ?). Juste me souvenir de ces quelques secondes.

Merci la vie.

Bonus : Ô Toulouse, par Claude Nougaro encore tout jeunot, qui chante son enfance…

lundi 17 septembre 2012

Remontrances et cohérence


J’ai reçu la semaine dernière ce petit mot sur ma page Facebook :

« Bizarre... Je voulais simplement vous remercier et/ou vous féliciter pour votre livre Méditer jour après jour. 
Mais en parcourant tout ceci, après avoir parcouru votre blog, je n'ai pu que penser à une grosse machine à sous... 
Bien sûr, il est totalement légitime que vous gagniez votre vie, et même que vous la gagniez bien. Mais au vu du brouhaha de publicités sur vos apparitions et autres interventions, j'avoue avoir des doutes... Vous parlez de calme et de sérénité ??? Je ne vois ici qu'une vitrine. 
Je m'enfuis donc, vite! En essayant de garder en moi l'essentiel : ce qui me fera du bien, je l'espère, dans vos écrits, et en tentant d'oublier ce que j'ai vu ici.
 Prenez soin de vous et des vôtres avant tout... »

Petit sursaut émotionnel sur le moment : jamais agréable de se faire critiquer.

Puis tout de suite : « elle a raison ».

Elle a raison et je le sens depuis cette rentrée. Tous ces entretiens dans la presse et à la radio, toute cette (relative) agitation autour de mon dernier livre, je les ressens comme à contre-courant de ce que j’aime en vrai : calme, lenteur, continuité. Et à contre-courant du message de mes livres : "décrochez des écrans, de l’info, savourez votre vie à l’écart du tumulte". Même si tout ça m’amuse, je l’avoue, même si ça m’excite un peu, même si, sans doute, ça me flatte et surtout ça me rassure. Elle a raison. Ce que ma promo m’amène à faire n’est pas vraiment cohérent par rapport à mes messages principaux. Petit coup de spleen…

Puis des arguments m’arrivent, pour me justifier (jamais agréable non plus de se sentir en défaut sur ses valeurs) : c’est la règle pour les auteurs qui publient un livre, il y a une période de lancement, durant laquelle on se prête au jeu de la promotion ; quand on écrit, c’est pour être lu. Le reste du temps, ma page Facebook et mon blog sont beaucoup plus calmes (parfois trop, me reprochent certains !). Parce que ma vie est alors plus calme : j’écris, je soigne mes patients, je médite, je marche, je savoure la présence de mes proches et de mes amis, je vis.

Je m’assieds et je respire un long moment avec tout ça dans la tête et dans le corps. Au bout d’un moment, je reviens à ma réflexion, et là, les choses m’apparaissent alors plus claires, je me sens soulagé, à peu près retombé sur mes pieds : OK, j’en fais peut-être un peu trop en ce moment. Mais c’est bientôt la fin (enfin, j’espère), ça va se calmer. Je vais revenir à un rythme de vie que j’aime, plus lent et moins visible.

Mais tout ça m’a fait réfléchir à mes besoins en tant qu’auteur qui s’expose sur le Net.

Je comprends que cette exposition, outre qu’elle m’aide à faire connaître mon travail, m’apporte beaucoup d’encouragements et de chaleur (merci à tous les internautes qui me disent des choses gentilles) et que cela me motive à continuer.

Et de temps en temps, la même exposition sur le Net m’apporte des critiques : certaines ne me touchent guère, ou pas longtemps (les haineuses et les anonymes). Mais lorsqu’elles sont formulées comme celle de Geneviève, citée en début de billet (c’est à dire lorsqu’elles sont mesurées, argumentés, bienveillantes et signées) elles m’aident beaucoup aussi, pour progresser, me nuancer, m’améliorer. Cela m’ouvre les yeux : "mon vieux, écoute-la et essaye de ne pas devenir un gros auteur tapageur…" Et cela me fait penser à la correction fraternelle des catholiques (je suppose que la même démarche existe dans toutes les traditions) : critiquer un frère ou une soeur humains que l'on voit commettre une erreur.

Merci mes internautes ! Vous m’apportez beaucoup plus que vous ne l’imaginez.

Illustration, version 1 : c'est beau la vie, même avec des vagues et des nuages...

Illustration, version 2 : "cool, Geneviève, ça va passer, c'est pas méchant, l'essentiel reste là, sous les vagues et le vent..."

lundi 10 septembre 2012

Esclavage et culpabilité


Une discussion un dimanche après-midi avec ma plus jeune fille, alors que nous sommes en train de ranger la cuisine après le départ de toute une bande d’amis invités à déjeuner :

« - Pfffff…. C’est casse-pied de ranger.
- Ah ben oui ma fille, mais il faut bien le faire.
- J’adorerai avoir un petit esclave, genre petit lutin de la forêt, qui fasse tous les trucs casse-pieds à ma place ! Ranger ma chambre, nettoyer la cage de mes lapins…
- Sûr, ça serait cool ! »

Nous continuons à ranger, mais je la vois qui cogite…

- « Tout de même... Ça doit être trop gênant de ne rien faire et de faire travailler ton esclave ! Tu imagines comme on doit culpabiliser ? Comment ils faisaient les gens avant, quand il y avait de vrais esclaves, pour ne pas se sentir mal devant eux ?
- Ils ne se rendaient pas compte, ça leur semblait normal. Mais heureusement il y avait des gens comme toi qui trouvaient ça trop triste et injuste, et qui ont fait abolir l’esclavage.
- Heureusement… En tout cas, pour moi, ça serait trop gênant. Il me faudrait un robot, en fait. Voilà, un petit robot esclave, qui m’obéirait et ferait tout ce que je lui demanderai ! »

Et nous terminons le boulot en plaisantant sur notre futur petit robot esclave.

On peut considérer (même si tout cela se discute, évidemment) que certains points se sont dégradés dans nos sociétés, par exemple en termes de solidarité entre personnes (entre voisins, entre salariés…).
Mais une chose s’est clairement améliorée dans les consciences, au moins en Occident : l’aversion spontanée de l’immense majorité de nos enfants pour toute forme de domination injustifiée, abusive et prétendument légitimée d’un humain sur un autre. Il me semble que c’est un acquis sur lequel il est désormais impossible de revenir.

Illustration : Léon Tolstoï et ses petits-enfants. Tolstoï, qui se battit contre l'esclavage des moujiks. Et écrivit une belle nouvelle sur les rapports maître et serviteur...

vendredi 7 septembre 2012

Douleur


Un collègue neurologue nous interpelle lors d’un congrès : « Vous savez quelles sont les douleurs que l’on supporte le mieux ? Celles des autres ! »

Rires de la salle, remplie de médecins, mais rires un peu gênés…

Chacun est en train de se dire dans sa tête, avec une petite perplexité : « C’est drôlement vrai, ce truc… Moi qui suis médecin, est-ce que ça ne m’arrive pas parfois, les jours où je ne suis pas assez à l’écoute, de sous-estimer la douleur et la détresse de mes patients ? »

Ben si, ça nous arrive parfois, forcément, comme chez tout le monde (La Rochefoucauld écrivait : « On a toujours assez de force pour supporter les maux d’autrui. »). Mais chez nous, c'est encore plus grave...

Illustration : quelques lectures contre la douleur (cliquez sur l'image pour mieux lire les titres).

jeudi 6 septembre 2012

Nouveau livre


Aujourd’hui, arrivée en librairie de mon dernier ouvrage, sur la quête de la sérénité.

C’est un petit livre de 25 courts chapitres consacrés aux différentes facettes de l’équilibre intérieur. Chacun s’ouvre sur un récit introspectif (la partie nouvelle) puis se continue par un texte de théorie et de conseils pratiques (en fait, il s’agit d’extraits choisis de mon ouvrage sur les états d’âme).

Si vous avez déjà lu Les États d’âme, ce petit dernier ne vous apprendra donc rien de neuf sur le plan théorique, seule la partie poétique est inédite. Si vous ne l’avez pas encore lu, il représente par contre une bonne introduction, plus accessible que son grand frère (qui est le plus complexe et le plus volumineux de mes livres).

Sérénité se termine par un bonus : un long entretien avec Patrice Van Eersel, grand journaliste devant l’éternel (Libération, Actuel, Clés).

Allez, un petit voeu (pour mon livre) et un petit jeu (pour les amateurs de poésie) : ce poème de Guillaume Apollinaire, extrait de son Bestiaire.

La Sauterelle

Voici la fine sauterelle,
La nourriture de saint Jean.
Puissent mes livres être comme elle,
Le régal des meilleures gens.


Voilà pour le voeu, et voici le jeu : quel mot est modifié ici par rapport au poème original ? J'enverrai un livre dédicacé aux trois premiers internautes qui signaleront la réponse dans l'espace des commentaires ci-dessous (pensez à m'envoyer votre mail, ici ou sur le site).

samedi 1 septembre 2012

Calme et sérénité


Calme et sérénité : ce sont deux mots que j’aime bien. Mais qui ne sont pas tout à fait équivalents à mes yeux. Ce n’est pas tant une histoire d’intensité (la sérénité qui serait une sorte de calme parfait et complet) que de qualité. La sérénité est au-delà du calme, elle en est une transcendance.

Est transcendant ce qui est extérieur ou supérieur au monde tangible. Le calme appartient à notre monde : calme de notre corps et de notre esprit, calme de notre environnement ; dans les deux cas, des caractéristiques physiques le sous-tendent. Pour le calme en nous : notre cœur bat lentement, notre souffle va doucement, nos muscles sont détendus, etc. Pour le calme autour de nous : peu de bruits, peu de mouvements, tout changement dans la progressivité et la douceur.

Lorsque la sérénité prend naissance dans le calme, quelque chose de nouveau survient alors. Une prise de conscience de tout ce qui est là, un sentiment de résonnance entre le calme du dedans et celui du dehors, la dissolution des limites entre le dedans et le dehors. Nous sommes toujours là, mais avec une porte ouverte sur autre chose. À deux doigts de basculer de l’autre côté. Toujours là mais pas que là. Aucun mot pour décrire ce qui se passe et ce que l’on ressent alors. Sauf celui de sérénité.

Nous arrivons plus facilement à frôler des instants de sérénité en vacances et en été : prendre le temps de regarder le soleil se lever ou se coucher dans la nature, s’arrêter pour ressentir une brise tiède, écouter la rumeur de la nuit… Dans ces moments, sérénité : transcendance de calme, résonnance, conscience ouverte et pleine.

Puisse cette année qui s’ouvre nous offrir de nombreux moments de sérénité : d’automne, d’hiver et de printemps.

Belle rentrée à toutes et tous.

PS : je m'aperçois en écrivant ce billet que je continue de raisonner comme un écolier. Pour moi, une année commence en septembre, à la fin de l'été et au moment de la rentrée scolaire. Rien à faire pour me convaincre que le début d'une année se situe le 1er janvier : cela ne dit rien à mon corps, à mes émotions, à mes souvenirs. Alors que le passage des vacances à l'école ou au travail, le sentiment de l'été finissant, tout cela, oui, sonne pour moi comme une transition majeure et un véritable changement. Progressif et naturel, comme tous les vrais changements, et non soudain et artificiel comme les douze coups de minuit entre 31 décembre et 1er janvier.

Illustration : les berges de la Garonne, par Frédéric Richet.

vendredi 6 juillet 2012

Au revoire


Au revoir mes chers internautes, le temps de l’été est venu, et Psycho Actif va se mettre en sommeil jusqu’à la rentrée.

Désolé de n’avoir pas été très régulier cette année : j’ai fait le choix de me protéger un peu de la surcharge de travail, et ce blog, entre autres, s’en est trouvé un peu déserté. J’ai fait de mon mieux, j’espère que l’année prochaine me permettra d’être plus régulier. Pour vous, et aussi pour moi : écrire mes états d’âme me fait du bien, et lire vos réactions m’enrichit et m’éclaire.

Passez un bel été.

Illustration : une photo réalisée par ma deuxième fille et utilisée pour écrire à ses grands-parents, alors qu’elle avait environ 6 ou 7 ans ; il s’agit de ses jouets de vacances, qu’elle retrouvait chez eux chaque année en leur rendant visite. Elle les a immortalisés avec un petit au revoir plein d’affection, et qui m’émeut beaucoup aujourd’hui, car cette image est devenue pour moi le symbole de son adieu à l’enfance. Dans nos existences, combien d’au revoir sont en fait des adieux que l’on ignore ? Une raison de plus pour se réjouir de chaque instant qu'il nous est offert de vivre. Quoi qu'il arrive ensuite.

lundi 2 juillet 2012

L’évacuation des idées dans le calme



En ce moment, nous avons beaucoup d’examens dans la famille : mes deux filles aînées notamment y sont plongées. Mais finalement, c’est toute l’année qu’elles sont exposées aux interrogations et évaluations.

De temps en temps nous parlons de leur façon de stresser et de s’apaiser lorsqu’arrivent les sujets. Comment ne pas perdre tous ses moyens parce que notre cerveau va trop vite, et patine comme une voiture sur du verglas si on appuie trop fort sur l’accélérateur ?

En bavardant ensemble, nous en arrivons à une image que j’aime bien : lors d’un examen, nous avons déjà (du moins si nous avons correctement révisé) toutes les idées et connaissances dans la tête, ou en tout cas, nous en avons suffisamment pour faire quelque chose de bien.

Le problème n’est pas ce savoir, mais son usage ; la panique fait que les idées se bousculent, et c’est comme lorsque tout le monde se précipite vers la sortie d’une pièce ou d’un wagon de métro : ça coince, on perd du temps, on s’énerve, ça bloque et la sortie est ralentie ou bloquée.

Alors il faut juste choisir de faire sortir les idées dans le calme. S’accorder plusieurs minutes pour lire le sujet, sans commencer à écrire ou à chercher les solutions. À ce moment, seulement 2 objectifs : lire et relire lentement et rester au calme ; respirer, relâcher ses muscles, se dire « respire doucement et ça va sortir tranquillement ; puis fais de ton mieux avec ce que tu sais ». Organiser en douceur la sortie des idées de notre cerveau, après avoir ramené le calme en nous, comme on permet à des animaux sauvages effrayés de ressortir de leurs cachettes. Accepter que les réponses ne jaillissent pas toutes faites de notre esprit, accepter ces secondes ou minutes où on a le sentiment de vide, de blanc dans la tête (d'accord, c'est plus facile à l'écrit qu'à l'oral !).

Si ça a marché pour mes filles ? Plus ou moins… Il me semble quand même que ce n’était pas si mal. En tout cas, pour moi, ça a bien marché ! J’étais rassuré et content d’avoir pu leur donner ces conseils.

dimanche 24 juin 2012

Lectures d'enfance



Si je me retourne vers les premiers livres qui ont marqué mon enfance, et dont je me souviens très précisément (leur couverture, les lieux où je les lisais), trois d'entre eux émergent tout de suite...

Oui-oui et la voiture jaune.
J’ai quatre ans, je sais déjà lire (aucun mérite, ma mère est institutrice). Pour mon anniversaire, mon père décide donc de m’offrir un « vrai livre » de la bibliothèque rose. Je suis très déçu : je rêvais évidemment d’un jouet, et on m’offre un bouquin avec plein de mots, plein de pages, et pas beaucoup de dessins, en plus ! J’ai refusé d’y toucher pendant plusieurs jours. Puis je m’y suis mis, à contrecoeur. Et je l’ai évidemment dévoré d’un seul coup. Depuis ce premier « vrai livre », je suis devenu un lecteur fou. Merci Papa, merci Maman !

Le Petit Nicolas.
Je le découvre vers huit ans, en épisodes dans le journal Pilote, qu’un copain d’école me prête toutes les semaines. De vrais enfants (pas comme dans la Comtesse de Ségur) et de la vraie vie (pas des aventures mystérieuses et improbables). Des bagarres de cour de récré, des billes, des fayots, des bavardages. Ce petit monde réel plein d'interactions qui sonnent juste me ravit. Prémisses de mon goût pour la psychologie de la vie quotidienne ? Et ce petit détail exotique qui me fascine alors, les prénoms très chics des héros : Eudes, Alceste, Marie-Edwige…

Le Livre de la jungle.
Cadeau de Noël ou d’anniversaire, vers neuf ans. Dans la belle édition Delagrave, avec des illustrations de Paul Durand. Découvrir un monde sans humains, évoluer dans un Eden menaçant, marcher tout nu dans la forêt aux côtés de Baloo et Bagheera. Un lien à la vie sauvage, dans ces années 60 qui étaient celles des fusées vers la Lune et du formica. Pour mimer les combats contre Shere Kan, je m’enferme des heures dans ma chambre, en slip, armé du simple poignard en plastique de ma panoplie de sioux. Le goût de la nature m'est resté, mais je n'ai plus besoin de changer de tenue...

Et je demande aujourd'hui si mes lectures d'adulte auront le même poids sur ma vie, lorsque j'en ferai le bilan un jour ? Il me semble bien que oui : chaque année, plusieurs livres me tourneboulent et m'émeuvent, et laissent en moi des sédiments féconds, dont je sens qu'ils me changent et me font évoluer.

lundi 21 mai 2012

« Que des ennuis... »


Il m’arrive toujours plein de choses intérieures sur les quais de gare. Je ne sais pas pourquoi, ce doit être le cocktail idéal pour mon psychisme à moi : un peu de stress, un peu de temps, un peu de changement…

Donc, ça se passe sur un quai de gare, en attendant un TGV de retour vers Paris. Je suis assis sur un banc tranquille, en bout de quai. Sur le banc voisin une dame parle dans son portable. Elle doit discuter avec quelqu’un qui habite loin, car elle parle très fort (on a montré ça, dans quelques études : même si la liaison est parfaite, on hausse le ton si le correspondant est à Tokyo, mais on parle normalement s’il est dans la rue voisine). Du coup, j’entends tout ce qu’elle raconte. Mieux : je l’écoute attentivement. Car à cet instant, je n’ai rien d’autre à faire, je suis de bonne humeur, il fait beau et doux, je me sens bienveillant et prêt à m’ouvrir à tout, à tout accepter, à tout trouver intéressant. Et de fait, ça l’est.

La dame se plaint : «On n’a que des ennuis !» Puis elle raconte tous les ennuis en question : l’internet qui est tombé en panne, le plombier qui devait venir faire des réparations et qui n’est toujours pas là, elle est en conflit avec une amie, etc.

Comme je sors d’un congrès où nous avons parlé de sclérose en plaques, évidemment, je me dis que tous ces ennuis ne sont pas méchants, et qu’elle devrait survivre à tout ça. Je repense à cette phrase de Cioran : «Nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes». Puis, ma petite voix intérieure fait son boulot d’autorégulation et de dégonflement de l’ego, et s’invitant dans la discussion, elle rajoute : «Ne fais pas le malin, tu es exactement comme elle ! Si ton internet et ton plombier te plantaient, tu aurais la même envie de te plaindre et de dire que tu n’as que des ennuis...» C’est vrai. Sans le savoir, cette dame inconnue me donne une leçon.

D’ailleurs, c’est fini, je ne l’écoute plus (elle continue car elle a plein d’autres ennuis, en fait), ses soucis ne m’intéressent plus. Ce qui m’intéresse, c’est la place que ces soucis bénins prennent dans sa vie. Et celle que les miens prennent dans la mienne. Je réfléchis à mes propres tendances à la plainte excessive et inutile. J’ai progressé pourtant, mais je me dis qu’il faut que je progresse encore.

Mais là, je n’ai pas envie de poursuivre ma réflexion, pas maintenant. Comme souvent dans ces cas-là, j’essaye alors d’ancrer ces résolutions en moi par un peu de pleine conscience : «ne passe pas à autre chose, mais ne continue pas à cogiter sur ça ; laisse le truc décanter, en pleine conscience, laisse-le se déposer en toi». Alors je me redresse sur le banc, j’ouvre mes épaules, je souris, je respire, j’écoute les oiseaux et la rumeur autour de moi, je regarde le ciel, les pins qui se balancent doucement.

Je regarde le sol.

Et je vois ces brins d’herbe (ceux de la photo) qui se sont faufilés dans les fissures du goudron et du béton. Herbes banales, petites plantes de rien du tout. Mais qui me réjouissent au-delà de tout. Victoire de la vie sur la mort, du faible sur le fort (ou plutôt de l’apparemment faible sur l’apparemment fort). Victoire de la vie sur les soucis. De ce qui compte sur ce qui ne compte pas. Victoire, triomphe du végétal sur le mental.

Il me semble que ces herbes viennent aimablement passer la quatrième couche de ma leçon du jour : 1) j’ai observé et écouté la dame ; 2) j’ai réfléchi sur son message ; 3) j’ai respiré et médité ; 4) et voici la muette fanfare végétale, qui s’avance et entonne son hymne sérieux et moqueur à la fois : «il n’y a pas de soucis, il n’y a pas d’ennuis qui doivent te faire oublier la vie ; regarde-nous, et puis c’est tout.»

Je regarde longuement.

Le TGV s’approche. Je me lève, je photographie les brins d’herbe avec mon portable, je renifle une dernière fois l’air frais. La dame continue de raconter ses ennuis, tous ses ennuis, rien que ses ennuis. J’ai presque envie d’aller lui dire merci. Mais je ne veux pas rater mon train. Je monte et m’installe.

Le ciel est magnifique.

jeudi 10 mai 2012

Prière et méditation


Samedi dernier, j’ai vécu deux moments intenses ; différents, mais que j’ai ressentis dans une continuité.

Le matin, j’assistai à la communion d’un de mes neveux. Il y avait une quinzaine d’enfants sur l’autel, la nef de l’église était remplie de familles et d’amis. Le tout dans un incroyable tumulte. Le public bavardait pendant l’office, à tel point que le curé dut demander plusieurs fois le silence. Les parents et proches allaient et venaient pour trouver les meilleurs angles pour leurs photos ou leurs films. Les jeunes communiants étaient psychologiquement dispersés, chuchotant entre eux, observant le public pour y retrouver les visages connus au lieu d’écouter le prêtre. À un moment, un des diacres fut même obligé de prendre dans ses mains la tête d’un des garçons, qui faisait des grimaces à ses amis sur les bancs, pour la tourner doucement vers le curé qui tentait de s’adresser aux jeunes. Bref, une ambiance joyeuse et sympathique, mais un manque total de recueillement. À un moment, le prêtre proposa à chaque enfant d’accueillir Jésus dans leur cœur : vu l’agitation qui régnait déjà dans leurs têtes, je ne suis pas sûr que ce vœu pieu ait pu être exaucé. Il y avait dans les cœurs beaucoup de joie et d’excitation à être tous ensemble, ce qui est déjà bien, mais plus guère de place pour autre chose. Je me sentais un peu perplexe ; pas question de regretter l’ancien temps, où l’autorité régnait et où l’obéissance était une valeur, et non un signe de faiblesse ou de conformisme. Pas de regret donc, mais plutôt un espoir : que l’on comprenne bientôt que la capacité de recueillement est une force et une grâce ; pour pouvoir lire, ressentir et comprendre le monde qui nous entoure.

L’après-midi, je donnais une conférence sur la méditation à la Grande Pagode du bois de Vincennes, à l’occasion de la fête du Vesak. Autre public, autre ambiance : des adultes motivés et attentifs, dont de nombreux pratiquants, et des moines et moniales. Dans la pagode, je repense alors à l’église. Je repense à ce que j’ai vécu le matin même, non pour comparer deux contextes non comparables, mais pour relier les deux moments : ce qui manquait ce matin, ce n’était pas la foi ou la sincérité ou l’envie, mais la stabilité attentionnelle, la capacité de recueillement. Je réalise à quel point il est impossible de prier avec un esprit inattentif, avec une âme en désordre.

Et je me dis que passer par un petit temps de pleine conscience permet de s’engager ensuite dans quoi que ce soit avec davantage de chances d’y « être vraiment ». Que ce soit pour ne rien faire, ressentir, savourer ; pour réfléchir, travailler, peler des carottes ; ou pour prier. La pleine conscience nous amène à une présence attentive à ce qui se passe dans notre vie, nous aide à tourner notre esprit vers ce que nous avons choisi.

Je me souviens alors de ces paroles de Cioran : « La prière de l’homme triste n’a pas la force de monter jusqu’à Dieu ». C’est encore pire, à mon avis, pour la prière de l’homme distrait ou pressé…

Illustration : comment expliquer que les images d'humains en prière soient presque toujours émouvantes ?

jeudi 19 avril 2012

Les mots de la guérison


Nos mots sont liés à nos ressentis.
Parfois ils les trahissent : ce sont nos lapsus.
Parfois ils les traduisent : ce que nous disons, et surtout la manière dont nous le disons, reflète, sans que nous le réalisions vraiment, notre vision du monde et notre équilibre émotionnel.
Des collègues néerlandais viennent d’en faire la preuve dans une belle étude conduite auprès de 299 patients en psychothérapie.

Ces patients souffraient de ce que l’on appelle « troubles de personnalité », c’est-à-dire présentaient des façons d’être anciennes et habituelles, des traits de personnalité les faisant souffrir.
Tendances à l’évitement social (63%), à la dépendance (15%), à l’obsessionnalité (40%), à la paranoïa (7%), au narcissisme (4%), etc.
Si vous faites le compte, vous verrez que la somme est supérieure à 100% : car la moitié d’entre eux présentaient plusieurs traits de personnalité pathologique.
Pourquoi avoir choisi ce type de patients ? Parce que dans les troubles de personnalité, les difficultés sont anciennes et chroniques. On peut donc supposer que leur vision du monde et leurs ressentis émotionnels, anciens et enracinés, auront largement eu le temps d’imprégner leur langage et leur manière de raconter leur vie.

On évaluait donc les patients avant le début de la psychothérapie (cognitive ou rogérienne), puis après 1 an, et après 2 ans, alors qu’ils étaient encore en traitement (en général, ces thérapies pour troubles de personnalité sont assez longues, car il y a du travail…).

L’évaluation comportait des entretiens approfondis, la passation de nombreux questionnaires, et une petite rédaction d’un texte sur le modèle suivant :

« Essayez de décrire votre vie : quel genre de personne êtes-vous ? Comment en êtes-vous arrivé là ? Comment ça se passe pour vous en ce moment ? Comment voyez-vous la suite ? »

Les 3 versions de ce texte (avant psychothérapie, après 1 an et après 2 ans) étaient passées au crible d’un logiciel d’analyse sémantique, qui traquait dans le détail toutes les manières de parler de sa vie…

Les chercheurs obtinrent des résultats nets : les progrès faits dans la thérapie s’accompagnaient de changements mesurables dans l’usage des mots.

Certains de ces changements étaient prévisibles, et attendus.

Par exemple, plus les patients s’amélioraient, moins ils utilisaient dans leurs récits de mots décrivant des émotions négatives et plus ils exprimaient d’émotions positives. Rééquilibrage de la balance émotionnelle…
De même, leur mieux-être se traduisait aussi par des verbes moins souvent au passé ou au futur, et plus souvent au présent. Capacité accrue de savourer l’instant présent, au lieu d’anticiper ou de ruminer…

Mais il y a avait aussi des résultats inattendus.

Celui-ci, par exemple : le mieux-être s’accompagnait d’une diminution de l’usage du « je » et des pronoms à la première personne. Capacité à se décentrer et à s’oublier, pour plutôt s’intéresser à tout ce qui nous entoure…
Ou celui-là : la diminution des formulations négatives (« ne pas… » etc.) qui traduisait, selon les auteurs de l’étude, le recul des occasions ratées, des renoncements, des reculs et échecs, si fréquents dans les trajectoires existentielles de ces personnalités. Ou du moins la non-focalisation sur ces inévitables ratages de notre quotidien…

Intéressant, tout ça, n’est-ce pas ?
Désolé pour ce billet un peu long et technique, mais ses résultats sont si riches d’enseignements ! Ou plutôt de confirmations…
Ça fait du bien aussi de savoir qu’on est sur la bonne voie, lorsque nous nous efforçons :
1) de ne pas nous focaliser sur nous, mais, de notre mieux, de nous ouvrir au monde qui nous entoure ;
2) de revenir inlassablement vers la « présence au présent », alors que nos ruminations et inquiétudes nous en éloignent non moins inlassablement ;
3) de cultiver, encore et encore, le maximum possible, compte tenu de ce qu’est notre vie, d’émotions positives. André Comte-Sponville définit la sagesse comme « le maximum de bonheur dans le maximum de lucidité ». C’est exactement ça…

Et cette étude nous conforte dans nos efforts (à reconduire et à reproduire inlassablement) vers un tout petit peu plus de sagesse quotidienne…

Illustration : mon écrivaine préférée, et ses mots sobres pour écrire la vie...

jeudi 12 avril 2012

Tout petits bouts d’humour


Je ne sais plus qui a dit que l’humour était la politesse du désespoir ; c’est sans doute vrai parfois. Mais c’est aussi un condiment du quotidien. On est là, en train de vivre, l’âme sérieuse, ou triste, ou absorbée par quelque problème à résoudre, ou quelque échéance à venir. Et d’un coup, un trait d’humour nous arrache un sourire, et tout redevient un peu plus léger.

C’est lors d’un voyage en avion, après l’atterrissage ; quelques minutes s’écoulent avant que les passagers (dont moi) ne puissent sortir, car il y a des difficultés à installer la nacelle de débarquement. Puis, au moment où la porte s’ouvre, nous entendons la voix du commandant de bord : « Mesdames et Messieurs, une bonne nouvelle : la nacelle est installée, vous allez pouvoir débarquer. Et une moins bonne : nous allons devoir nous séparer ! ». Un sourire amusé apparaît sur la tête de presque tous les passagers…

C’est un mail que m’envoie un cousin, chanteur de chorale amateur : « Voici la date de notre concert annuel, pour les amateurs de fausses notes et joie de vivre. » Je souris, car c’est exactement ça…

C’est au retour d’une longue journée de travail à Bordeaux ; dans le TGV du retour, je vais m’acheter au bar du train une petite bière, pour la savourer en regardant le paysage et en repensant à tout ce qui m’est arrivé d’intéressant ce jour-là. Le monsieur qui me sert, un grand antillais jovial, est en pleine forme, il fait des blagues à tous les passagers. Quand mon tour arrive, il enregistre ma commande, puis me regarde d’un air très pro et sérieux, en me demandant : «Votre bière, vous la voulez bien fraîche et délicieuse ?» J’éclate de rire en lui confirmant que c’est le bon choix…

Des tout petits bouts d’humour de rien du tout. Mais à chaque fois, comme disent les anglais : « it makes my day ». Ça me réjouit, et ça suffit. Pour le reste, je verrai plus tard…

Illustration : 2 chiens qui discutent, et l'un qui explique à l'autre : "Oui, c'est vrai, ils sont dingues ; mais ils savent ouvrir le frigo..."

lundi 26 mars 2012

Jour de douceur


C’est un jour de douceur, de soleil sans chaleur écrasante. Le quartier est très calme, nous sommes en semaine, en début d’après-midi.

Je marche au milieu de la rue, doucement réjoui et ravi de la paix que je respire tout autour de moi, qui gagne toutes les cellules de mon corps. Me voici devant les grilles d’un jardin ; j’aperçois par derrière une maison, dont les volets sont mi-clos. Le jardin est en déshérence, mais pas abandonné. Massifs de fleurs, arrosoir, outils…

Je m’arrête, un instant arraché à ma légèreté. Je m’approche des grilles. Une pensée étrange, comme une certitude, vient d’arriver à mon esprit : quelqu’un est en train de mourir derrière ces volets. J’entrevois en un éclair l’image une vieille personne alitée, qui termine son existence dans le silence et le secret, derrière ces volets, alors que tout autour la vie explose et la joie se répand.

Je reste là à respirer, à écouter. Tout à coup, mon cœur se met à cogner. Je ne sais pas très bien ce que je vais faire : aller sonner à la porte, partir en courant, me mettre à pleurer ? Je me sens complètement hors du monde, de ce monde simple, lumineux et rassurant dans lequel je me trouvais il y a encore quelques minutes.

Je reste avec ce trouble, il me semble que je ne dois rien faire pour le modifier, il me semble qu’il me murmure des choses très importantes.

Il me murmure qu’autrefois, lorsque de telles pensées m’arrivaient sur la souffrance et la mort alors que j’étais heureux, elles n’étaient que des concepts. Loin de moi. Mais aujourd’hui, ce sont des réalités qui se rapprochent doucement de moi. Lorsque je pense à la mort, j’en perçois l’écho dans mon corps. Je suis désormais plus âgé, donc plus sensible, du moins à cela.

Il murmure aussi de ne pas vouloir chasser ce que je ressens à ce moment, mais au contraire de recueillir cet instant et de le porter en moi. Comme le corps d’un petit animal mort. Ou le souvenir de son corps. Et de sa mort. Sinon, je ne pourrai plus être heureux. Juste aveugle.

Mon cœur s’est arrêté de cogner. Je suis toujours là, debout devant les grilles du jardin. Je respire mieux. Je me sens plus fragile et plus intelligent. Lesté, pour au moins quelque temps, d’une sagesse douloureuse et apaisante. Il me semble avoir fait trois pas au pays des morts, et être maintenant revenu dans celui des vivants, où le soleil brille et où l’air est doux.

Juste heureux d’être en vie.
Gratitude.
Paix.

Je peux repartir maintenant.

Illustration : aller là où l'on ne va jamais.

lundi 5 mars 2012

Le sixième sens


Vous connaissez peut-être cette question malicieuse et profonde de Woody Allen : «L’esprit et le corps sont-ils séparés, et si oui, lequel vaut-il mieux choisir ?». En une pirouette, tout est dit de l’évidence des liens étroits et indissociables entre corps et esprit.

Pour ma part, j’avais longtemps laissé de côté cette dimension corporelle dans ma pratique de psychiatre et de psychothérapeute. Je ne l’avais pas oubliée, puisque je suis médecin, mais négligée, sous-estimée. J’utilisais la relaxation, je prescrivais des explorations biologiques, j’auscultais et j’examinais parfois mes patients, mais c’était plutôt pour que le corps se taise et se fasse oublier, pour qu’il cesse de gêner ou de faire souffrir. C’était une approche médicale et utilitariste. Pour la plupart d’entre nous, médecins, la santé c’est « la vie dans le silence des organes ». Alors, un corps silencieux et qu’on peut oublier représente souvent une sorte d’idéal.

L’apprentissage et la pratique de la méditation m’ont ouvert à un tout autre rapport au corps (le mien et celui de mes patients). Un rapport plus respectueux, plus intelligent, plus écologique en un mot. Comme la nature qui nous entoure, et dont il est d’ailleurs un petit bout, notre corps doit être écouté, protégé, voire choyé.

Dans nos sessions de méditation de pleine conscience, nous rappelons aux participants l’importance de leur corps : la méditation n’est pas tant une pratique de l’esprit qu’une pratique du corps, dont on écoute les échos et les ressentis pour mieux se comprendre, s’apaiser et surtout basculer dans un autre rapport à soi et au monde.

Nous cherchons finalement à les aider à développer en eux un sixième sens. À côté des 5 sens classiques – vue, ouïe, odorat, toucher, goût – nous leur faisons faire de nombreux exercices qui vont les ouvrir à la somatesthésie, cette capacité à ressentir finement nos sensations corporelles.

Ce sixième sens peut nous aider à mieux savourer le présent, quand il nous offre de l’agréable, et à mieux voir que faire de nos douleurs, quand elles surgissent dans nos vies. Nous aider à mieux comprendre nos émotions, à développer notre intuition. Bref, à accroître notre intelligence d’êtres vivants et sensibles.

Illustration : il y a des moments où on se passerait bien de son sixième sens... (détail du Jugement Dernier, de Jérôme Bosch).

jeudi 23 février 2012

La voix des morts


Hier, j’essayais de mettre un peu d’ordre dans le répertoire de mon téléphone portable : supprimer les contacts enregistrés deux fois, ou mettre à jour les changements de numéros.

Et je suis tombé sur le numéro de téléphone d’une amie morte. Morte l’été dernier, d’un cancer foudroyant.

Paralysé. Évidemment impossible de l’effacer, ce numéro dont je ne me servirai plus jamais. J’aurais l’impression de commettre une violence sans nom à son égard. De la faire mourir à nouveau. L’effacer de la mémoire de mon téléphone serait comme un préambule à l’effacer de ma mémoire tout court.

Alors j’ai décidé de laisser son numéro, et de repenser à elle à chaque fois que je le croiserai. Je verrai bien jusqu’à quand cela me sera nécessaire. Et apaisant aussi : je ne me fais pas d’illusion, je crois que cette décision me fait plus de bien à moi qu’à elle. Quoique finalement, je n’en sais rien du tout…

Je n’ai pas pu non plus effacer les coordonnées de David Servan-Schreiber, mort cet été lui aussi. Mais je n’ai jamais pu, non plus, réécouter sa voix, ni regarder une de ses vidéos.

J’aime garder le souvenir des défunts que j’ai aimés, grâce à une photo, des lettres, des textes par eux écrits. Mais je suis terriblement mal à l’aise de devoir me confronter à une reviviscence artificielle : un film ou un enregistrement audio. L’impression de presque-vie devient alors insupportable, et réveille la tristesse de leur disparition de manière trop violente.

Lorsque mon meilleur ami est mort, alors que j’étais étudiant à Toulouse, je me souviens de mon bouleversement lorsque, peu après, j’avais réécouté sa voix sur mon répondeur téléphonique. Nous nous laissions beaucoup de messages, et à l’époque cela se passait sur des gros appareils qui enregistraient tout sur des cassettes à bandes (la préhistoire !).

J’ai gardé précieusement ces cassettes, même si cela fait un bail que je ne les ai pas écoutées. Je sais exactement où elles sont rangées, dans quelle boîte, à quel endroit. Pour l’instant, il reste encore un vieux lecteur de cassettes à la maison. Je sais que je pourrai, si je le souhaite, réentendre sa voix. Mais le jour où il disparaîtra ? Garderai-je ces vestiges devenus muets ?

Ces voix des morts, et leurs images animées, gardent une puissance vitale. Alors notre cerveau et notre cœur sont dans le trouble : ils savent que c’est factice, mais ne peuvent s’empêcher de vibrer. Comme l’espoir qu’on va se réveiller d’un mauvais rêve. Mais non, ce n’était pas un rêve. Juste la vie. Et puis la mort.

Alors, dans ces moments où mes états d’âme commencent à tourner au triste, je me rappelle de tous les bons moments passés avec ces morts. De tout ce qu’ils ont vécu de beau, de tous leurs bonheurs. Je souris à l’intérieur de mon envie de pleurer. Je ne cherche pas à me consoler ou à relativiser. Juste à respirer. À respirer un peu pour eux. Et à leur sourire.

Illustration : un corbillard de la religion Cao-Dai, au Viet-Nam.

jeudi 16 février 2012

Quatre nigauds zen


Il m'est arrivé assez souvent d'avoir peur de rater un train, que j'ai finalement réussi à prendre à la dernière seconde (voir le billet du 26 septembre 2011, Toucher ses limites).

Il m’est aussi arrivé, de temps en temps, de vraiment rater, pour de vrai, un train que je devais prendre.

Mais rater la descente d'un train, ça, ça ne m'était pas encore arrivé ! C'est une expérience nouvelle, que j'ai faite récemment…

Je me rendais avec trois amis à un séminaire de méditation, qui devait avoir lieu près de Blois, dans le beau monastère zen de La Gendronnière.

Nous étions tranquillement installés dans un petit compartiment, comme autrefois.
Il y avait Zindel Segal, professeur de psychiatrie à Toronto, au Canada, et créateur de la méthode dite MBCT, destinée à la prévention des rechutes dépressives ; avec deux autres amis et instructeurs de méditation qui nous attendaient déjà sur place, nous devions conduire ensemble le séminaire, destiné à une cinquantaine de médecins et psychologues. Il y avait aussi Florent Dulong, infirmier et professeur de yoga, avec qui j'anime les groupes de méditation à l'hôpital Sainte Anne. Et enfin François Vialatte, chercheur en neurosciences, qui participe lui aussi à nos groupes.

Bref, quatre passionnés par le sujet. Du coup, nous causions, nous causions, de recherche et de méditation. De temps en temps nous observions le silence, et nous regardions défiler le beau paysage. Bref, une atmosphère concentrée et tranquille, calme, lente, zen…

Lorsque nous nous sommes approchés de la toute petite gare de Onzain, proche de notre destination, nous avons bien sûr tous entendu l'annonce de la descente prochaine, faite par le contrôleur.
Nous nous sommes tranquillement levés, nous avons tranquillement pris nos bagages, nous sommes tranquillement sortis du compartiment, nous nous sommes tranquillement rapprochés de la porte de sortie.
Et le train est tranquillement reparti, avant que nous n'ayons eu le temps de descendre.

Ben oui, s'il fallait que les arrêts durent à chaque fois 5 minutes complètes, ce ne serait plus un train mais carrément un tortillard. Une minute, au maximum, et on repart !
Et nous voilà, quatre nigauds zen, embarqués vers la gare suivante...
Un peu penauds, un peu amusés, et surtout assez attentifs à descendre un peu plus vite la prochaine fois !
Ce que nous fîmes. Après quoi nous reprîmes le train suivant dans l'autre sens, et arrivâmes avec 2 heures de retard, rien de bien méchant. Juste une petite leçon à méditer…

Comme quoi, la pleine conscience, ça a tout plein d’avantages, et tout de même aussi quelques inconvénients.
Sinon, ce ne serait pas drôle…

Illustration : « Salut les gars ! Et bonne méditation… »

vendredi 10 février 2012

Ouf !


Et voilà !

Je suis enfin libéré de mon plâtre, et sacrément soulagé.

Bien sûr, ma main droite est gonflée, ankylosée, douloureuse. Rien de méchant, puisque que j'ai l'espoir que cela va doucement s'améliorer. Et quand bien même…

Ce matin, un ami avec qui je parlais de cette convalescence m'a raconté comment son épouse était hémiplégique depuis une vingtaine d'années, à la suite d'un accident vasculaire cérébral au décours de l'accouchement de leur troisième enfant. Elle vit depuis avec courage et énergie une existence aussi normale et heureuse que possible. Me voilà bien recalibré quant à l'importance de mes petites misères : je n'ai absolument pas à me plaindre, même avec ma main droite encore toute raide et bloquée.

Et puis ce petit accident m’a finalement beaucoup apporté :
- j'ai reçu beaucoup de gentillesse et de soutien, dont vos messages sur ce blog ;
- j'ai découvert les joies d'un logiciel de reconnaissance vocale, qui permet de tout dicter à son ordinateur (ce que je suis en train de faire à l'instant, les bras croisés, chaussé d'un casque de standardiste) ;
- j'ai admiré tout ce que ma main gauche était capable de faire ;
- j'ai pris conscience que j'étais, comme tout le monde, fragile ; cet accident était clairement lié à la fatigue, à la distraction, à l'énervement ;
- j'ai réalisé que j'avais beaucoup trop travaillé ces derniers temps ; et pire, que j'étais en train de devenir incohérent, et d'une certaine façon, menteur ; moi qui encourage à la pratique de la pleine conscience, du calme, de la lenteur, de la continuité, j'étais en train de m'en éloigner de plus en plus.

Alors, j'ai décidé, comme beaucoup d'entre vous me l'avez conseillé ici, de tirer les leçons de cet accident, et de ralentir.

Me casser la main m’aura poussé à lever le pied !

Pas si facile : c'est rassurant et gratifiant de dire oui à tout, ça permet d'être aimé et apprécié. Et c'est douloureux de dire non à des gens sympathiques, à des projets utiles, comme rédiger la préface d'un bon livre, donner une conférence pour une association méritante, ou aller faire une séance de dédicaces chez des libraires dont on apprécie le travail. Mais finalement, c'est de l'orgueil de croire qu'il y aurait que moi pour faire tout ça : en disant non, je serai remplacé, et tout sera parfait.

Donc, je vais aussi lever le pied sur ce blog, que j'alimenterai sans doute un peu moins souvent qu’auparavant (mais nettement plus souvent que durant ce mois de janvier !). Cela me permettra aussi de me remettre - tranquillement ! à l'écriture de mon prochain livre.

Voilà, désolé pour ce billet très autocentré, mais je vous devais bien quelques nouvelles. Merci beaucoup, encore une fois, pour tous vos messages de soutien. Et à bientôt pour de prochains partages.

Illustration : une belle étude de mains, par Albrecht Dürer (merci à Édith pour l’image et les lignes au verso).