lundi 12 novembre 2012

Temps d’écran et temps de vie


C’est lors d’un long coup de téléphone professionnel. À un moment, mon interlocutrice doit raccrocher et me dit qu’elle me rappelle dans 2 ou 3 minutes pour poursuivre la conversation.

Comme je suis assis à mon bureau, devant mon ordinateur, mon premier réflexe est d’en « profiter » pour regarder mes mails. Je commence donc : ouh la ! il y a en a déjà plusieurs qui sont arrivés depuis le début de notre échange. Je vais peut-être les lire et leur répondre, ça me fera gagner un peu de temps.

Mais ma main se bloque tout à coup sur le clavier ; mon esprit se réveille et change de registre ; je prends conscience que je ferais mieux de mettre ces quelques minutes à profit pour faire autre chose, au lieu de rajouter du stress (vite, répondre à quelques mails) au stress (de cet échange, qui nécessite pas mal de concentration).

Je ferais mieux de respirer, de détendre mes épaules, de me lever et m’étirer, de marcher un peu dans mon bureau.

Je ferais mieux de continuer tranquillement de réfléchir à la discussion en cours, même si elle est momentanément interrompue.

Je ferais mieux de m’approcher de la fenêtre et de regarder le ciel, les nuages.

Bref, je ferai mieux de ne pas me coller sur mon ordinateur, alors que je sens bien, tout a coup (mais sans ce petit décalage de ma conscience, je m’apprêtais à passer outre) que je suis un peu fatigué et tendu. Pas grand chose, juste un peu. Mais si je ne décroche pas, si je ne laisse pas mon cerveau et mon corps se reposer, je les pousse au-delà de la zone de confort et sans doute d’efficacité.

Alors, évidemment, maintenant que j’ai compris, que tout est clair, je fais ce qu’il faut faire, sans hésiter, dans ces moments : je m’approche de la fenêtre, je respire tranquillement, je regarde le ciel et je prends conscience de tout ce qui est là à cet instant et dans ma vie.

Et j’attends que le téléphone sonne. Tranquillement. Content et conscient d’exister, au lieu de rester fermé et crispé.

Et quand il sonne à nouveau, je m’aperçois, alors que je n’ai pas réfléchi délibérément à notre discussion, que tout un tas d’idées plus claires me sont venues pendant que je laissais mon corps et ma cervelle respirer.

Et aujourd’hui encore, quelques semaines après ce micro-événement, je m’en souviens, parfaitement, comme d’un instant de vie agréable. Et je ressens une minuscule bouffée de bonheur en songeant à ce petit décalage qui a éclairé ma journée, au côté de tant d’autres…

Illustration : toujours penser à regarder le ciel par la fenêtre, même quand il y a beaucoup de travail (une répétition au Bolchoï, à Moscou, par Cornell Capa).