lundi 25 mars 2013

Autocontrôle



Ça se passe au mois de juin dernier. Je suis dans mon bureau, affairé à des travaux d’écriture : mon prochain livre, des articles, des préfaces.

J’aime écrire, mais il y a des jours où c’est plus difficile que d’autres. Et c’est le cas ce matin-là : j’ai un peu de mal à stabiliser mon attention, à trouver l’inspiration. Face à ces difficultés, je sens en moi les premières impulsions à me désengager du travail. Il y a quelques années, cela pouvait prendre la forme d’une petite sieste vite fait, d’une descente à la cuisine pour manger un fruit, ou d’un instant passé à bouquiner des revues ou des livres récemment achetés. Tout ça sous le prétexte de me changer un peu les idées avant de revenir au boulot. Aujourd’hui, il y a les mêmes tentations, et de nouvelles encore : tentation, dès que mon travail coince, de regarder les mails arrivés entre temps, ou les SMS, ou de répondre dès que mon téléphone sonne (au lieu de laisser sonner et de répondre en fin de journée), ou de surfer sur Internet. Toutes ces interruptions ne sont pas si graves, sauf que si je ne gère pas un peu l’affaire, je n’aurai pas écrit grand-chose d’ici ce soir !

Au moment où je suis en train de rêvasser en songeant à tout cela, j’entends frapper à la porte de mon bureau : c’est ma deuxième fille. Elle aussi travaille à la maison, car elle prépare le bac. Elle a quelque chose à me demander :
- « Papa, tu peux me prendre mon portable ?
- Te prendre ton portable ?!
- Ben oui, je veux te le donner pour que tu le gardes dans ton bureau.
- D’accord, mais pourquoi ?
- Parce que si je le garde à côté de moi, je n’arrive pas à travailler, c’est plus fort que moi, je réponds à tous les coups de fil et à tous les SMS. En plus si je m’ennuie j’ai envie d’appeler ou d’en envoyer… »

Je me sens tout à coup moins seul dans mon combat et mes efforts d’autocontrôle !

L’autocontrôle n’est pas un terme de notre langage quotidien. Mais sa réalité nous est familière. Et sa pratique indispensable. Il est ce qui fait de nous les pilotes de notre quotidien, ce qui nous rend capables, tels des marins, de naviguer au mieux et de tenir le cap sous toutes sortes de vents, favorables ou contraires.

Sans lui, nous ne faisons que réagir à nos émotions et impulsions, aux pressions et modifications de l’environnement. Sans recul et sans discernement. Et donc avec parfois quelques problèmes à la clé. Avec lui, nous devenons capables de répondre à tout ce qui nous arrive, intelligemment, en fonction de nos choix, décisions, et idéaux de vie.

L’autocontrôle est donc un ensemble d’aptitudes, qui va s’avérer très précieux dans de nombreux domaines de notre vie : santé, relations sociales, épanouissement scolaire et professionnel, bref tout ce qui peut concourir à augmenter notre bonheur.

Les capacités d’autocontrôle ont sans doute toujours été de la première importance dans la vie des humains, mais elles semblent encore plus importantes aujourd’hui : nos environnements modernes sont passionnants et riches, mais ils sont aussi peut-être les plus déstabilisateurs qui soient car ils nous exposent en permanence à la tentation ! Les sociétés matérialistes qui sont les nôtres ont porté au plus haut point l’incitation à « s’offrir un petit plaisir », « acheter aujourd’hui et payer demain », et autres slogans incitant à obéir à ses impulsions, surtout lorsque celles-ci sont joyeusement manipulées par une publicité et un marketing parfaitement au courant des données les plus récentes de la science. Le combat entre citoyens et firmes est donc à ce niveau inégal. Et cultiver son autocontrôle contribue à rééquilibrer cette confrontation entre nos libertés individuelles et les incitations déstabilisatrices organisées à une échelle industrielle.

PS : le texte qui précède est un extrait de la préface que j’ai rédigée pour l’excellent livre de mon ami Jacques Van Rillaer, La nouvelle gestion de soi, dont je vous recommande chaleureusement la lecture. Vous y trouverez la description détaillée et concrète de tous les mécanismes et efforts favorisant l’autocontrôle et l’équilibre personnel.

Illustration : Adam et Ève chassés du Paradis : un manque d'autocontrôle ?

lundi 18 mars 2013

Le défilé


C’est un souvenir ancien, la scène se passe il y a 15 ans environ.

Ce jour-là, c’était un après-midi en semaine, je marchais dans la rue principale de notre petite ville de banlieue parisienne. Tout à coup, je vois arriver un cortège enfantin, déambulant au milieu de la chaussée, précédé par deux policiers municipaux débonnaires.

C’était Mardi-Gras, les enfants de l’école étaient tous déguisés pour le carnaval, et devaient sans doute se rendre au gymnase proche pour une petite fête.

Je m’arrête pour observer leur passage : certains étaient joyeux et excités, d’autres un peu perplexes voire inquiets de se trouver en train de marcher au milieu de la rue (un endroit où on ne va jamais quand on est un petit enfant de maternelle) sous les regards de quelques parents et passants.

Le spectacle était mignon, mais un peu triste aussi : ces enfants défilant sans public, ou presque, agitant leurs petits drapeaux sans que grand monde ne les regarde. Je ne suis jamais très à l’aise avec les défilés, en général ils m’inquiètent ou ils m’attristent. Et j’ai toujours de la peine quand je vois un spectacle sans spectateurs.

Mais je n’allais pas prendre un visage consterné à leur passage, tout de même ! Alors, pour les encourager, je reste là à applaudir et faire bonjour, à leur proposer un comportement de spectateur joyeux, qui leur manque peut-être un peu à ce moment.

Et j’aperçois au milieu de la petite troupe ma fille aînée, qui devait avoir à l’époque 4 ou 5 ans. J’avais oublié qu’elle pouvait se trouver là ! J’observe son visage : il était un peu inquiet, observant la scène de l’intérieur, de manière incrédule et préoccupée. Elle ne me voit pas. Je l’appelle, elle m’aperçoit, et un sourire éclaire son visage, elle me salue, agite un peu plus fort son drapeau, soulagée d’avoir peut-être trouvé un sens à ce défilé étrange.

Puis le petit cortège s’éloigne, j’aperçois encore ma fille se retournant une ou deux fois, pour me faire au revoir de la main.

Au revoir, ma fille que j’aime, au revoir…

Un étrange sentiment de fragilité de la vie humaine me serre alors doucement le coeur. Ces enfants trimballés pour un spectacle auquel ils ne comprennent pas grand-chose, dans l’indifférence des passants, me semblent un instant à l’image de l’humanité toute entière : fragile, orpheline, perdue. Je devais être dans un jour triste.

Ce souvenir a aujourd’hui pour moi comme un goût de rêve (et vous avez remarqué comment certains rêves nous restent en mémoire des années après ?). Je crois que je m’en souviens comme d’un rêve parce que j’éprouvais des états d’âme complexes et intenses, que la scène était un peu étrange et inhabituelle, et que ma tristesse du moment me rendait archi-réceptif aux petits décalages d’un spectacle censé être joyeux. Dans ces moments, notre vie ressemble à un rêve.

Il y a toujours des petites déchirures dans le bel habit des fêtes. On dit que c’est par là que rentre la lumière. Certains jours, cette lumière est sombre. Mais j’aime bien. J’aime bien que ce souvenir soit porteur d’une douce tristesse. Il me rappelle notre fragilité : celle de ma fille, la mienne et celle du genre humain.

Illustration : Prêts pour le défilé, les amis ? À Paris en 1962.

lundi 4 mars 2013

Vacances



J'ai oublié de vous dire, la semaine dernière : PsychoActif prend un peu de vacances.

Nous nous retrouvons le lundi 18 mars.

Portez-vous bien !

PS : à la suite du billet Sud-Ouest, j'ai reçu une petite information sur le devenir de la chanson Montagnes Pyrénées, devenu hymne officiel du Val d'Aoste. Les chansons voyagent, comme les personnes ! À lire à la fin des commentaires du dit billet (attention, n'oubliez pas de cliquer sur "charger la suite" car il y a beaucoup de messages).

Illustration : au revoir les amis ! Photographie de Bernard Plossu, Mexique, 1966.