jeudi 30 janvier 2014

Sourire tout seul dans la nuit



Je n’arrête pas de travailler. Aucun mérite : j’aime ça. Je ne parle pas ici du travail « officiel », de médecin, de conférencier, d’écrivain. Non, du travail d’humain : comprendre comment je fonctionne, pourquoi je déconne (parfois), et m’efforcer de m’améliorer et de progresser.

Je ne me lasse jamais de ces efforts parce qu’ils sont intéressants, qu’ils me rendent plus heureux et qu’ils rendent mes proches plus heureux (je suis moins casse-pied et je leur donne mieux ce qu’il y a de bon en moi).

Bon. Alors voici les dernières nouvelles du boulot : depuis quelque temps, j’arrive à sourire la nuit, dans le noir, dans mon lit, quand tout le monde dort dans la maison. À sourire pour de vrai, à faire sourire tout mon corps et mon cerveau, même quand des soucis me gênent pour m’endormir, ou m’ont réveillé.

En général, je dors plutôt bien. Pour m’y aider, je fais d’ailleurs un peu de « détox du stress » quand je me mets au lit, avant même de chercher à dormir : je repense aux bons moments de la journée (et si la journée a été dure, je cherche les tout petits bons moments, les micro-bonheurs qui ont eu lieu malgré tout), je médite en pleine conscience (juste être là, présent à mon corps et mon souffle, sans attente et sans jugement). En faisant tout cela, je relâche les adhérences de mon esprit aux soucis : ils sont toujours là, mais n’accrochent plus aussi fort à mes pensées. Et en général, je m’endors plutôt facilement.

Mais ça ne marche pas toujours. Parfois le sommeil tarde à venir, parfois je me réveille au milieu de la nuit.

Alors je respire et je souris. Je prends le temps d'observer comment le sourire prend naissance et chemine en moi. Un vrai sourire, que personne ne peut voir mais que je sens parfaitement, un sourire du dehors (du visage) et du dedans (du cerveau). Doux et discret, mais vrai. Pas question de se mentir à soi-même.

Je souris à ce qui est là, à l’insomnie et à la vie. Je souris à toute mon existence, à ce mélange de grandes belles choses et de petits trucs qui grattent, qui stressent, qui dérangent, qui irritent, qui agacent, qui inquiètent. Et qui parfois désespèrent. Alors, je fais aussi de mon mieux pour sourire aux nouvelles très tristes et très douloureuses. Je n’y arrive pas toujours. Cela marche mieux, bien sûr, pour l’adversité ordinaire.

Je souris en respirant, en ressentant mon corps, mon souffle, en accueillant les sons et les soucis, sans m’accrocher à rien, de mon mieux.

Je souris en me disant que c’est ainsi, que cet instant d’insomnie est un instant de ma vie, qu’il compte autant que tout le reste, qu’il vaut la peine.

Et je sens, comme je ne me force pas, que ce sourire détend mon corps et mon esprit. Alors parfois je me rendors. Et parfois non. Pas grave.

Désormais j’aime sourire dans le noir, en respirant doucement, en observant les vagues de mes peurs s’écraser sur la plage de ma conscience, reculer, revenir, s’écraser encore.

J’admire le fracas de leur ressac, l'écume de leur acharnement, j’aperçois au loin l’océan des incertitudes, du mystère et de l’éternité. Tout ça la nuit, depuis mon lit.

Que pèse à côté le souci du sommeil ?

Illustration : si vous avez du mal à sourire, vous pouvez aussi compter les moutons, ou les wagons d'un très grand train (photo de David Plowden).

jeudi 23 janvier 2014

Et n'oublie pas d'être heureux



Je suis ravi de vous annoncer l'arrivée de mon nouveau livre ce jeudi 23 janvier 2014 en librairie.

C'est un abécédaire de psychologie positive, qui est l’étude scientifique de ce qui nous rend plus heureux. Pas forcément toujours ou totalement heureux, mais plus souvent et plus tranquillement heureux.

Vous y trouverez donc des définitions (comme dans un dictionnaire) mais aussi des histoires, des expériences, des exercices et des conseils (car un abécédaire est aussi une méthode d’apprentissage). Tout ce joyeux mélange ressemble finalement à la manière dont le bonheur déboule dans nos vies : parfois par surprise, parfois grâce à des efforts, parfois en observant simplement comment font les autres, etc.

J'y parle aussi d'adversité et de souffrance, car il me semble aujourd'hui impossible de procéder autrement. Le bonheur n’est pas un luxe, mais une nécessité. Nous avons besoin du bonheur. Parce que la vie est souvent belle : bonheur pour nous ouvrir les yeux. Parce que la vie est parfois dure : bonheur pour nous aider à faire face.

Comme toujours, j'ai choisi pour illustration de couverture un dessin qui nous rappelle l'enfance : c'est un petit personnage de Marc Boutavant, que m'a fait découvrir ma plus jeune fille, et dont je suis devenu fan.

Pour le titre, j'ai un peu hésité : je voulais au départ l'appeler "Fais de ton mieux et n'oublie pas d'être heureux" pour rappeler aussi la nécessité d'agir et d'avancer, sans jamais perdre le bonheur de vue. Mais la majorité des personnes de mon entourage et des éditions Odile Jacob m'ont déconseillé ce choix et recommandé la version brève et directe. Et voilà donc le résultat...

J'espère maintenant que ce livre vous plaira, et vous aidera (pour moi, c'est déjà fait : son écriture, comme toujours, m'a encore ouvert les yeux et fait progresser sur le chemin des petits mieux).




vendredi 17 janvier 2014

Fermer les yeux sous les compliments



Ça se passe lors d’une conférence donnée à Paris avec Matthieu Ricard, pour Psychologies Magazine. Juste avant que cela ne démarre, les organisateurs nous présentent au public de manière très élogieuse. Trop élogieuse : c’est embarrassant.

Je ne sais jamais quelle tête faire lorsqu’on dit du bien de moi en public comme ça, devant 2000 personnes. Ça me fait plaisir, bien sûr, mais ça me gêne aussi : parce que tout n’est pas vrai ou pas mérité, et parce que devant toutes ces personnes, dont beaucoup mériteraient aussi des éloges pour des actions plus discrètes que les miennes, je ne sais quel visage présenter.

Si je souris trop, si j’ai l’air trop content, ça va donner l’impression que je me rengorge, que je suis ravi et que je pense mériter tous ces éloges. Mais si je me renfrogne ou me montre impassible, ce n’est pas très gentil ni respectueux pour la personne qui me présente et me complimente.

Alors en général, je m’efforce de ne pas trop penser à moi, à mes qualités ou à mes défauts, et je respire, en regardant les lieux ou mon interlocuteur, et en souriant ni plus ni moins que dans la vraie vie.

Mais ce soir-là, je ne suis pas tout seul : c’est mon ami Matthieu qui commence à recevoir les éloges. Parfait : je vais pouvoir l’observer attentivement du coin de l’œil ; je suis curieux de voir comment il fait, lui, dans ce genre de situations...

Ce soir-là, Matthieu adopte une attitude qui me semble étrange au début : il ferme les yeux, presque tout le temps. Il les rouvre de temps en temps, adresse un petit sourire autour de lui, très léger, du genre « Ah ! Ce n’est pas encore fini ? », et il referme les yeux.
Ça, c’est une drôle d’option, je n’y aurais jamais pensé !

Un peu plus tard, je lui demande à quoi il songeait à cet instant, et pourquoi il fermait ainsi les yeux. Et lui de me répondre très simplement : « Je fermais les yeux parce que ces compliments ne me concernaient pas vraiment. Ceux qui les méritent, ce sont mes maîtres, qui m’ont tout appris de ce qui fait qu’on me complimente aujourd’hui. Alors, je ferme les yeux pour penser à eux, leur rendre hommage, leur adresser de la gratitude. Je ne suis pas concerné, ce sont eux les récipiendaires authentiques, et c’est vers eux que nous devons tourner notre admiration. »

Trop fort ! Au lieu de rester centré sur lui, il évacue le dilemme, et adopte une position existentielle de fil électrique, de conducteur, afin de transmettre l’énergie des compliments directement à ses maîtres. Une leçon de sagesse bouddhiste (et de sagesse tout court) en direct ! Merci pour la leçon, mon cher ami Matthieu ! J’espère en recevoir encore beaucoup d’autres de toi à l’avenir.