lundi 31 mars 2014

Pas Maman !



C’est une petite fille très agacée contre sa mère, et qui se confie à son père. Elle lui dit :
« - Tu sais, j’ai remarqué, quand je suis en colère contre maman, je ne veux plus lui dire “maman“, je ne veux plus l’appeler comme ça.
- Et pourquoi ? demande le papa.
- Parce que je ne l’aime plus, alors je ne veux plus lui dire “maman“ ! Parce que “maman“ c’est gentil, et c’est pour quand je l’aime !
- Je vois, répond le papa, mais alors, tu voudrais l’appeler comment dans ces moments ?
- Eh bien je ne sais pas, je n’ai pas envie de lui parler, pas envie de l’appeler ! Alors, je ne l’appelle pas, je lui parle sans dire son nom, sans rien ! »

Le papa sourit, en espérant que le conflit sera bientôt passé. Il pense à la charge affective des mots, et notamment des mots par lesquels nous désignons et appelons nos proches. Il se souvient de cet oncle et de cette tante qui se disputaient souvent, quand il était enfant lui-même et qu’il vivait chez eux. Lorsqu’ils étaient fâchés et qu’ils devaient faire une phrase mentionnant leur conjoint si agaçant, ils l’appelaient « l’autre » : « l’autre m’a dit que… », « l’autre m’a encore fait ceci ou cela… » Et toute la famille comprenait que ça chauffait entre eux.

Il se souvient aussi que dans sa famille, on utilisait rarement les prénoms officiels. Tout le monde portait un surnom affectueux ; comme s’il ne fallait pas user le vrai prénom (et de même, on n’usait pas, dans cette famille modeste, les habits neufs, qu’on réservait aux cérémonies et sorties dans le monde).

Lorsque nous nous aimons, nous utilisons nos prénoms ou nos petits noms tendres. Et quand nous ne nous aimons plus, il nous semble que continuer à les utiliser serait mentir, ou peut-être les salir. Ou trop se rapprocher de « l’autre », entrer avec lui dans une intimité dont, à ce moment du moins, nous ne voulons plus. Ce mot qui a porté notre amour ne peut pas porter aussi notre ressentiment. Pas lui. Il nous en faut un autre. Ou pas de mot du tout. Pour montrer qu’il n’y a plus d’amour, nous ne voulons plus utiliser les mots qui servaient à l’amour.

Au fait, ça s’est fini, pour la petite fille et sa mère ?

Bien, évidemment ; comme toujours entre elles.

Les conflits et leurs résolutions font partie de notre histoire et de notre éducation à ce qu’est une relation humaine. L’amour est donc revenu, et les « maman, maman ! » ont recommencé à résonner dans la maison. Un peu trop certains jours, au gré de la maman, qui trouve qu’au nom de l’amour, sa fille lui en demande beaucoup.

Mais être sollicité, n’est-ce pas, parfois, une façon d'être aimé ?

Illustration : Une maman et son fils, dans les rues de Paris. Street Art, par l'excellent Henri Zerdoun.



mercredi 5 mars 2014

Héros positifs


J’ai beau être psy, je n’ai pas toujours une conscience exhaustive de tout ce qui m’a construit et me motive à m’engager sur telle ou telle voie dans ma vie d’adulte. Même s’il me semble être à peu près au clair avec moi-même, j’ai régulièrement des prises de conscience surprenantes sur ce qui m’a construit.

Par exemple, ma motivation pour la psychologie positive, et mon aversion pour les propos qui critiquent les bonnes intentions, la gentillesse, etc. J’ai pourtant fait mes études de médecine et de psychiatrie à une époque où ce n’était pas du tout « tendance » et où on aimait bien dénigrer les bons sentiments. Je faisais semblant moi aussi, parfois. Mais je me sentais toujours mal là-dedans, et quelque chose en moi me faisait irrémédiablement préférer les gentils, et les trouver non pas plus niais mais plus intelligents que les malotrus égoïstes.

Et l’autre jour, j’ai compris un bout de cette motivation. C’était dans une librairie, où je suis tombé en arrêt devant un gros bouquin consacré à l’histoire du journal pour enfants, Pif le Chien.



Je le feuillette, et tout à coup je me sens chavirer : tous mes héros d’enfance sont là ! Je revois mon grand-père, militant communiste, m’offrir chaque semaine mon exemplaire de Vaillant, devenu ensuite Pif-Gadget. Il ne me faisait jamais de la morale, mais à mes yeux il l’incarnait. Je revois nos promenades en solex, sans casque à l’époque, moi installé debout dans l’espace entre ses bras, accroché au guidon.



Je découvrais à l’époque Rahan, l’homme préhistorique qui protégeait les faibles aux temps des « âges farouches ». Docteur Justice qui parcourait le monde pour – comme son nom l’annonçait - corriger les injustices. Teddy Ted, Ragnar, Nasdine Hodja… Tous véhiculaient une vision du monde fraternelle et égalitaire, un engagement simple pour le bien.

Je feuillette l’album et je réalise soudain que ces héros m’ont nourri au-delà de ce que j’imaginais. Non pas que je sois aussi fort, généreux ou courageux qu’eux : j’en suis loin, très loin, vraiment. Mais en ce que ce j’adhère totalement, sans malice ni méfiance, à leur discours : ce monde n’est pas vivable sans idéaux ni bonnes intentions.

On peut s’en moquer et ricaner. Mais je m’en fiche : ces héros généreux et altruistes représentaient pour moi la ligne d’horizon. Il me reste encore à marcher beaucoup, mais je sais que c’est par là que je veux aller, que je dois aller. Surtout pas du côté opposé : négativisme, cynisme ou médisance. Comment fait-on pour respirer là-dedans ?