mardi 24 novembre 2015

Prière du soir



Ce soir mes enfants rentreront de l’école. Je leur demanderai s’ils ont passé une bonne journée ; ils me donneront plus ou moins de détails, selon leur humeur ou leur journée, puis me demanderont peut-être un supplément d’argent de poche, ou de l’aide pour leurs devoirs. Bonheur.

Ce soir, je demanderai à mon épouse si elle a pensé à prendre du pain, elle me dira oui, rajoutera « comme d’habitude », puis me dira : « le pain est là ; et moi je vais bien, oui, merci ! ». Ça nous fera rire et je me sentirai un peu bête, un peu nul, mais amusé aussi de recevoir une petite leçon conjugale. Bonheur.

Ce soir, nous parlerons et mangerons ensemble, et quand la nuit tombera, nous aurons de l’électricité pour voir, malgré le noir. Bonheur.

Ce soir, je m’endormirai dans un lit, sous un toit. Bonheur.

Je m’endormirai en songeant à toutes les grâces simples qu’il m’aura été donné de vivre, un jour de plus. Bonheur.

Je penserai à toutes les personnes que j’ai connues et aimées et qui sont mortes aujourd’hui. Qui ne peuvent plus savourer cette vie imparfaite et merveilleuse. Et même si tout le monde est sûrement à cet instant au Paradis, même si là-haut, c’est sûrement bien mieux qu’ici-bas, je serai quand même un peu triste qu’elles ne soient plus là. Bonheur, malgré tout, de les avoir connues.

Ce soir – et je sais que ce sera à ce moment précis – je penserai aussi à tous les humains à qui ces bonheurs simples n’ont jamais été offerts, ou rarement, ou qui les ont connus puis perdus. Je me sentirai triste et privilégié. Puis je me dirai : inutile, ta tristesse n’enlèvera rien au malheur du Monde ; mieux vaut agir pour l’alléger que culpabiliser. Bonheur.

Ce soir, j’observerai en m’endormant le mélange à mon esprit de tout ce qui m’ennuie et de tout ce qui me réjouit. Je ferai des efforts pour que ce qui me réjouit ait un peu plus de place ; sinon, ce qui m’ennuie la prendra toute, comme d’habitude. Peut-être que cela ne marchera pas ; mais je sais que tôt ou tard, ça remarchera. Bonheur.

Ce soir, après tout ça, je sentirai mon corps qui respire, tout seul comme un grand, et je m’endormirai en souriant, avec la pensée que demain, si tout va bien, je m’apercevrai tout à coup que je suis éveillé, que j’entends, que je sens, que je vois, et que tout fonctionne à peu près correctement. Bonheur.

Mon Dieu, où que Vous soyez, quel que soit Votre visage, faites que je ne m'habitue jamais à toutes ces grâces, que je n’oublie jamais leur existence, même quand les vents de la vie seront mauvais.

Bonheurs imparfaits, bonheurs cabossés, bonheurs de passage, bonheurs naïfs, bonheurs absurdes, et tous les autres : merci de m’aider à résister à l’adversité, de m’aider à donner, à aimer.


PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en novembre 2015.

mardi 17 novembre 2015

Face à la haine 



Face à la haine : la force, l’intelligence et l’amour

Face à la haine, la force : il faut toujours arrêter le bras qui veut frapper.

Face à la haine, l’intelligence : n’oublie jamais que, comme toi,
presque tous les humains désirent vivre dans la paix et l’harmonie.

Face à la haine, l’amour : tous ces humains sont autour de toi,
à chaque instant, de tous visages et de tous âges,
de toutes cultures et de toutes religions.
Alors, aime-les et montre leur que tu les aimes :
en allant vers eux, en leur parlant, en leur souriant, en les aidant.

Nous avons besoin des trois : la force, l’intelligence et l’amour.
La force et l’intelligence pour aujourd’hui et pour demain.
Et l’amour pour toujours.

Comme d’habitude.

mardi 3 novembre 2015

Dormir au premier rang



Lorsqu'on donne une conférence, on est bien sûr très centré sur ce qu'on veut dire. Mais on observe aussi en permanence le public, afin de sentir quel rythme prendre, s'il faut accélérer ou ralentir, expliquer ou faire rire, si les messages passent ou si ça coince...

Et en observant les spectateurs, on voit, du moins dans les premiers rangs, toutes sortes de visages.

Certains souriants et bienveillants, qui font du bien à l'orateur. D'autres sérieux ou même renfrognés ; au début, ça m'inquiétait un peu, mais avec le temps j'ai appris deux choses : que souvent les personnes renfrognées sont juste concentrées, et que ce n'est pas forcément de la désapprobation qui s'exprime sur leur visage ; j'ai aussi appris que ce n'était pas grave, quelques visages renfrognés, du moment que ce n'était pas toute une salle qui faisait la tête (ça, ça doit être plus difficile à affronter !).

Mais ce qui me fascine le plus, ce sont les gens qui dorment en pleine conférence, qui prennent la peine de se mettre au premier rang, bien sous le nez de l'orateur, et qui, au bout de 5 mn, s’endorment à poings fermés… Là encore, au début, en tant que conférencier, je trouvais ça un peu dévalorisant et déstabilisant. Et surtout pas très sympa : pourquoi n'allaient-ils pas piquer leur roupillon quelques rangs plus loin, bien dans l'obscurité ? ou pourquoi ne restaient-ils pas chez eux à se reposer tranquillement ?

Mais en fait, avec le temps, j'ai changé mon regard sur eux : peut-être s'installent-ils là dans l’espoir que ça les tiendra mieux éveillés que s’ils sont dans la discrétion confortable des places au fond et dans le noir ? Je me dis aussi maintenant que je n'ai pas à me concentrer sur eux mais plutôt tous ceux qui veillent, qui m'écoutent les yeux grands ouverts, en général bien plus nombreux. J'arrive même à me convaincre, quand je suis de très bonne humeur, que tous ces éveillé(e)s sont peut-être des dormeurs en puissance, épuisés, mais que mon topo aide à garder les yeux et l'esprit ouverts, malgré leur fatigue...

Mais tout de même, pour les autres, de temps en temps, une petite envie me passe par la tête. Je n'ai pas encore osé, mais un jour je le ferai, j'oserai réveiller un dormeur du premier rang : « oh oh ! chère madame, cher monsieur, réveillez-vous ! coucou, je suis là ! oui, vous là, c'est ça ! je me permets de vous éveiller, car je suppose que si vous vous êtes installé(e) au premier rang, c’est pour mieux écouter et pour ne pas vous endormir. Je voulais juste vous aider à ne pas manquer ce passage très important de la conférence... ».

Tiens, la prochaine fois, avis à celles et ceux qui viendront m'écouter : je me lance à la pêche joyeuse aux dormeurs et aux dormeuses !