lundi 21 décembre 2015

Selfie


Je ne suis pas un grand amateur de selfies, ces autoportraits contemporains.

Récemment, un journaliste sympathique m’appelle pour me demander de lui envoyer quelques lignes de soutien à l’écologie, accompagnées de mon selfie : ma contribution s’ajoutera à beaucoup d’autres dans un numéro spécial du magazine ELLE, consacré à la défense de notre planète.

Comme la cause est belle, j’accepte, à condition de pouvoir envoyer non pas ma bobine, mais le portrait d’une belle vache de l’Aubrac, où je suis en train de randonner avec des amis.



Et j’ajoute ce petit texte :

« Je me sens écologiste tout le temps, mais ça vire intégriste quand je marche sur les plateaux de l’Aubrac, d’où je vous envoie cette photo : je suis pour l’écologie et contre les selfies ! »

Peu après, je parle de cette histoire avec Matthieu Ricard, lui aussi allergique aux selfies, et qui me raconte en rigolant un de ses projets :

« Je pensais breveter un no-selfie stick - j'ai découvert le selfie-stick récemment et n'en revenais pas ! Ce serait un stick qui au lieu de tenir un smartphone sur un bâton pour te photographier ou te filmer toi-même à distance, se replierait pour te donner un coup sur le nez à chaque fois que le nez-pinocchio de l'ego s'allonge ! »



Alors, que vous ayez ou non commandé un selfie-stick pour Noël, que vous vous apprêtiez ou pas à faire tout un tas de selfies aux côtés de vos proches ou amis, tout ceci n’a pas d’importance, et je vous adresse toutes mes pensées les plus joyeuses et amicales pour que cette fin d’année vous apporte de l’affection et de l’amour, et vous permette d’en donner tout autour de vous.

On se retrouve l’année prochaine !

Illustration : une belle vache de l'Aubrac, immortalisée par mon ami Skef lors d'une de nos randonnées.

lundi 14 décembre 2015

De quoi se nourrit notre esprit ?



La méditation est une très vieille pratique, tant en Orient qu’en Occident. Mais ce n’est que depuis peu que la science a validé sont intérêt dans le domaine de la médecine et de la psychologie. De pratique spirituelle et religieuse au départ, la voilà donc devenue, laïcisée et codifiée, outil de soins.

Nous pouvons nous en réjouir : l’étendue des souffrances humaines est vaste, et toute nouvelle approche susceptible de les réduire est la bienvenue.

Mais pour notre part, depuis que nous avons introduit dès 2004 à l’hôpital Sainte-Anne, nos thérapies de groupe par la méditation, nous assistons de manière régulière à un phénomène étonnant : malgré cet usage strictement thérapeutique, malgré notre discours laïque, nous voyons souvent émerger, au sein de cette pratique, des moments de spiritualité chez nos patients.

Ainsi, il est fréquent que ces derniers nous parlent de ressentis indicibles qu’ils ont pu éprouver en méditant, d’expériences de fusion et d’appartenance, profondes et sans mots pour les décrire, au monde qui les entoure. De vécus d’apaisement allant au-delà de la simple suspension de leurs souffrances. De sentiments de redécouverte de leur esprit et de leur corps (car la méditation est grandement à l’écoute du corps) comme de redécouverte aussi de leur âme. Finalement, d’expériences de vie spirituelle, tout simplement !

Il y a là quelque chose de touchant bien sûr, mais aussi d’étonnant : laïcisée, codifiée, scientificisée, instrumentalisée, mise au (noble) service de la médecine et du soin, voilà la méditation qui, naturellement, revient vers ses racines spirituelles, et y ramène ses pratiquants réguliers. Voilà qu’après avoir été un remarquable outil qui les a aidés à marcher sur le chemin de cendres de leurs souffrances et détresses, elle devient une compagne de route sur la voie de leurs interrogations existentielles. Voilà qu’après les avoir affranchi de la souffrance, elle les ouvre à leur vie intérieure et à ses mystères.

Comme une boussole revient toujours vers le Nord, la méditation, même laïcisée, même originellement pratiquée pour s’apaiser (en termes de souffrances) ou s’enrichir (en termes de capacités mentales, de maîtrise, de lucidité), nous ramène toujours vers la spiritualité.

La spiritualité, c’est tout simplement l’attention, le respect, l’humilité accordés à la vie de l’esprit, perçu comme chambre d’écho du monde, visible ou invisible. Non pour le maîtriser, cet esprit, non pour l’asservir, en faire un outil au service de nos ambitions, mais pour observer, s’incliner, recueillir, contempler, se tourner vers les mystères de la vie sans la certitude de réponses claires.

Je crois avoir lu un jour cette remarque attribuée au Dalaï-Lama : « Nous pouvons nous passer de thé, mais pas d’eau. Tout comme comme pouvons nous passer de religion, mais pas de vie spirituelle. » La spiritualité peut parfaitement se vivre de manière laïque. Et aussi conduire à une qualité accrue de notre foi si nous sommes croyants. C’est pourquoi de nombreux croyants viennent aujourd’hui à la méditation : car la seule foi ne suffit pas à guérir (elle est là pour sauver, pas pour soigner). Et ils s’en retournent ensuite, enrichis, apaisés, vers leur religion : car la seule méditation ne suffit pas à pleinement les nourrir…


Illustration : au Québec, une barque au bout d'un quai, par mon ami Rémi Tremblay.

PS : cet article a été initialement publié dans le magazine La Vie le 10 décembre 2015.

jeudi 10 décembre 2015

Vivre et mourir



Dans la méditation de pleine conscience, nous apprenons à tout accueillir, dans nos esprits et dans nos vies : bonheurs et détresses, joies et peurs.

L’accueil de tout ce qui nous semble agréable nous permet de mieux en prendre conscience, de mieux le savourer, de ne pas oublier d’ouvrir les yeux sur tout ce qui peut nous rendre heureux. Cet accueil, lors de nos exercices de méditation, nous apprend aussi à moins nous y accrocher : nous inscrivons nos expériences agréables dans l’espace vaste et fluide de notre pleine conscience, où tout circule librement, émotions, sons, pensées, images, sensations corporelles ; nous apprenons à ressentir sans intervenir.

Nous sommes heureux que le bonheur soit là, mais sans chercher à le retenir. Nous ne sommes pas anxieux qu’il parte. Tant mieux, car il partira.

L’accueil de tout ce qui nous semble désagréable, ou triste, ou angoissant, ou révoltant, relève de la même démarche. Nous plaçons nos expériences de détresse dans un espace de conscience très vaste, nous invitons à leurs côtés la conscience des sons, du souffle, du corps, des autres pensées, la conscience que tout autour de nous existe le monde immense et infini.

La souffrance est toujours là, mais évoluant dans un univers mental bien plus vaste que l'espace étriqué de nos ruminations et inquiétudes. Nous sommes moins inquiets qu'elle ne soit éternelle. Nous pressentons qu'elle s'effacera peut-être. Et elle s'effacera.

En méditant et en vivant, nous serons, aussi, régulièrement confrontés à la mort.

À des pensées sur notre mort, ou celle des personnes que nous aimons, ou celle d’inconnus, victimes de guerres, d’accidents, d’attentats, de violences.

La douleur sera toujours là (méditer, ce n’est pas comme prendre un antalgique) mais il n’y aura pas qu’elle. Il restera de l’espace et de l’énergie pour la compassion et l’action. De l’énergie pour ne pas perdre de vue tout ce qu’il y a, malgré tout, malgré la souffrance, la maladie et la mort, de beau et de bon dans le monde. En même temps.

Méditer nous aide à ouvrir les yeux sur la complexité du monde : la vie et la mort coexistent, le bien et le mal, l’admirable et le détestable. Nous apprenons à ne pas nous servir de l’un pour faire disparaitre l’autre : ce n’est pas parce que l’horreur et la mort existent, que le bonheur et la vie sont vains ; et à l'inverse, le bonheur n’est pas là pour nous aider à oublier le malheur et l’horreur, mais pour nous donner la force et la motivation de mieux les observer, les examiner, les affronter.

Méditer, c’est accéder à l’immensité et à la complexité de la condition humaine. C’est avoir – peut-être – toujours un peu peur de la mort, mais sans que cela soit une terreur obsédante et aveuglante. C’est avoir le goût du bonheur, sans que cela soit une fuite ni un égoïsme.

Méditer, c’est apprendre à aimer la vie avec tant de force et de légèreté que l’idée de la mort redevient supportable.

Car l’amour de la vie est le seul antidote à la peur de la mort.

Illustration : Charles Schulz, génial créateur de Snoopy et de Charlie Brown, vous dit la même chose que moi, mais en plus beau, plus touchant, et plus drôle. Encore la preuve qu’un bon dessin vaut toujours mieux qu’un long discours…