mardi 26 janvier 2016

En coulisses



La publication de notre livre commun, « Trois amis en quête de sagesse », nous a amenés, Matthieu Ricard, Alexandre Jollien et moi-même à être embarqués dans une campagne de promotion intense (peut-être trop, nous ont dit certains), épuisante mais joyeuse : elle a été une occasion de plus de passer du temps ensemble à discuter, rire, s’observer et s’inspirer les uns les autres, par nos réactions parfois si différentes aux détails du quotidien.

Quelques moments ont été particulièrement forts, que je souhaite vous raconter…

Nous sommes en coulisses de la scène des Folies Bergères, où nous allons donner notre première conférence. Notre éditrice, Catherine Meyer, qui va animer la soirée, est en train de nous présenter au public, et nous sommes derrière le rideau, à attendre qu’elle nous appelle. Matthieu rentrera en premier, puis Alexandre, puis moi. Nous commençons à avoir un petit fou rire avec Alexandre, car nous venons de décider de rentrer sur scène en faisant la chenille, nous tenant par les épaules. Matthieu tente de nous dissuader : "vous êtes sûrs, les gars, ça ne va pas faire très sérieux..." Mais non, moitié pour nous rassurer, moitié pour rigoler, nous décidons que ce sera la chenille, un point c’est tout ! Alexandre empoigne les épaules de Matthieu, j’empoigne les siennes et c’est parti pour la scène ! Nous arrivons hilares à nos fauteuils…

Nous voici dans les coulisses d’une émission de télé, C à vous. Nous venons d’être maquillés, et nous attendons notre tour dans la grande loge des invités, où il y a beaucoup de tumulte : un grand écran, avec le son à fond, diffuse l’émission en cours, avec les invités qui nous précèdent sur le plateau ; des gens vont et viennent ; il y a une grande table avec de quoi boire et manger ; ça part un peu dans tous les sens… Alors Matthieu, en grand frère, sentant que nous sommes contaminés par le côté amusant, glamour et un peu superficiel de tout cet univers, nous interpelle : « Les gars, on se recentre ? Pour quoi sommes-nous ici ? Pour délivrer quel message ? » Il a raison : nous ne venons pas pour faire les malins ou montrer notre bobine à la télévision, mais parler de partage, de fraternité, d’altruisme, et si possible, de sagesse. Alors, nous rapprochons nos chaises, nous fermons les yeux, et nous respirons tranquillement, en nous recentrant un peu sur le pourquoi profond de notre présence ici…

Certains jours, nous avons jusqu’à cinq ou six invitations, radios, télés, entretiens pour la presse écrite. Nous sautons de l’une à l’autre en taxi, tous les trois. Dans la voiture, nous bavardons beaucoup, de ce que nous venons de faire, de ce que nous allons faire, ou de tout autre sujet. À la fin d’un des trajets, le chauffeur, resté silencieux pendant tout le parcours, descend lui aussi de son taxi pour nous saluer sobrement : « désolé, j’ai été indiscret, j’ai écouté votre conversation, et je voulais vous dire : je vous connais et j’aime beaucoup tous les messages que vous délivrez et tout votre travail ; merci pour tout ça, continuez ! » Et il repart tranquillement, nous laissant au seuil de je ne sais plus quel plateau télé…

De temps en temps, nous avons une heure ou deux de battement entre deux émissions. Nous cherchons alors des endroits pour nous reposer un peu. Une après-midi, nous squattons ainsi dans l’appartement prêté par un ami de Matthieu. Alexandre et moi faisons une petite sieste réparatrice dans les canapés du salon. Tandis que l’infatigable Matthieu en profite pour répondre à ses mails. Avant de commencer à somnoler, en regardant le plafond, je savoure toute l’intensité de cet instant inhabituel : dormir tout habillé chez quelqu’un que je ne connais pas, mes copains à mes côtés, en attendant notre prochaine sortie. Vague impression d’être comme un groupe de rock en tournée ; mais en légèrement plus ascétique…

Que de souvenirs associés à notre « commando Bisounours » comme nous a baptisés Alexandre ! Il a été frappé par le nombre de questions sur notre « naïveté » : « vous parlez de sagesse et d’altruisme dans un monde violent, un monde en guerre, n’est-ce pas un peu naïf ? » Ben non, ce n’est pas naïf. Bien sûr que notre monde est dur, mais c’est justement pour ça que nous avons à être les plus fraternels et généreux possible les uns envers les autres. Rien de naïf à cela. C'est une partie importante de la réponse au problème.

Non, nous ne sommes pas naïfs, nous souhaitons juste que chaque humain, nous les premiers, comprenne tout l’intérêt qu’il y a à cultiver « un cœur intelligent », tel que le Roi Salomon le demandait à son Dieu, dans la Bible (Rois, 3,9). Un coeur intelligent, c'est-à-dire, habité par la bienveillance et le discernement.

Puissent nos galopades médiatiques aider à convaincre le plus grand nombre de personnes possibles que ce n’est pas un objectif de Bisounours…


Illustration : Olivier Adam.

lundi 11 janvier 2016

Noël, sapins, voiture



Un de ces derniers matins, en sortant de chez moi, je vois beaucoup de sapins de Noël abandonnés sur les trottoirs.

Rien de plus triste qu’un sapin de Noël sur un trottoir gris et humide d’un mois de janvier. Enfin, si, il y a plein de choses bien plus tristes, plein d’abandons bien plus dramatiques. Mais disons que ces expulsions de sapins dans la rue, après qu’ils aient été désirés, décorés, associés à tant de joies, après qu’ils aient participé à la vie et aux rires des familles, rappelle plein d’autres expulsions et abandons tristes…

Ouh la, je sens que mon cerveau glisse vers le spleen, ce n’est pas le moment, j’ai des ennuis, je ne suis pas en forme, inutile d’en rajouter. Alors, à cet instant, je souris et je rappelle à mon esprit quelques souvenirs gais et histoires joyeuses associés à ces fêtes, histoire de tempérer mes états d’âme.

Je repense par exemple à ce courrier, que m’écrivait peu avant les fêtes une patiente, qui n’a pas toujours eu une vie facile, et qui me racontait ceci :

« Hier soir, de retour de Paris, j'ai eu pour la première fois de ma vie une vraie joie à l'idée de célébrer cette fête de Noël, laissant les douleurs et les souffrances parentales derrière moi. J'ai écouté l'enfant en moi, qui ne s'était guère exprimé à l'époque. Il y a longtemps que je voulais m’offrir un père Noël avec une échelle que l'on met à la fenêtre. Cela m'a toujours fasciné. Hier soir, j'en ai acheté un et il est à ma fenêtre ce matin. J'y ai ajouté une étoile lumineuse la nuit. Ça rend mon cœur plus léger, la magie opère ! »

C’est drôle : moi aussi, ça m’amuse et ça m’attendrit ces petits pères Noëls absurdes accrochés aux balcons et rambardes. Comme les déballages de guirlandes, de crèches, d’illuminations diverses. Je suis amusé de découvrir chez ma patiente les mêmes réactions enfantines.

Puis, je pense à cette patiente. À cette « future ex-patiente » devrais-je dire, car peu à peu, elle a de moins en moins besoin de nos séances. Nous sommes de moins en moins dans la thérapie, et de plus en plus souvent dans la réflexion sur le cap et le sens de son existence. Nous discutons souvent de ses choix de vie ; parfois nous ne sommes pas d’accord sur certaines décisions à prendre. Mais c’est toujours elle, bien sûr, qui tranche à la fin. Et elle a de plus en plus souvent raison, il me semble.

Par exemple, il y a quelque temps, elle a voulu s’acheter une petite voiture. Comme elle ne roule pas sur l’or et que c’était une période encore compliquée de sa vie, au moment où elle m’a demandé mon avis, et après l’avoir bien amené à me dire pourquoi elle souhaitait faire ça, je lui ai expliqué que ça ne me semblait pas indispensable, en tout cas en ce moment, et surtout pour quelqu’un qui vivait dans Paris.

Mais elle n’était pas d’accord, et m’a expliqué pourquoi : autonomie, balades à la campagne, vacances, symbole par rapport à ses parents qui n’en avaient jamais eu, etc. Puis, elle a quand même acheté sa voiture.

Un an après nous faisions un bilan : sa voiture ne lui avait apporté que des joies, elle avait du coup quitté Paris, et sa nouvelle vie était bien meilleure que l’ancienne. Elle avait eu raison. Ce que j’ai reconnu avec grand plaisir. Voir ses patients avoir raison et prendre les bonnes décisions est un bonheur qui n’est surpassé que par une chose : voir ses enfants faire pareil. Dans les deux cas, on est heureux qu’une personne pour qui on a de l’affection ,et à qui on souhaite une belle vie, soit capable de mieux voir que nous ce qui est bon pour elle.

Tiens, ça va mieux dans ma tête.

Le ciel me semble moins gris, le sort des sapins, moins triste. Braves sapins, ils ont bien fait leur boulot, leur pied coupé, dans des lieux trop chauffés pour eux. Ils vont bien bien affronter leur destin. Ils ont mérité de revenir à leur terre natale, après un circuit de recyclage pas forcément très sexy, puisqu'il commence par le camion-poubelle. Mais tôt ou tard, chacun de leurs atomes redeviendront autre chose.

Merci les sapins, c’était sympa ces fêtes avec vous dans un coin de la maison…

Illustration : "bon, on le ramène où ce sapin, maintenant ?"