jeudi 19 mai 2016

Que veut notre esprit ?



La méditation est une très vieille pratique, tant en Orient qu’en Occident. Mais ce n’est que depuis peu que la science a validé sont intérêt dans le domaine de la médecine et de la psychologie. De pratique spirituelle et religieuse au départ, la voilà donc devenue, laïcisée et codifiée, outil de soins.

Nous pouvons nous en réjouir : l’étendue des souffrances humaines est vaste, et toute nouvelle approche susceptible de les réduire est la bienvenue.

Mais pour notre part, depuis que nous avons introduit dès 2004 à l’hôpital Sainte-Anne, nos thérapies de groupe par la méditation, nous assistons de manière régulière à un phénomène étonnant : malgré cet usage strictement thérapeutique, malgré notre discours laïque, nous voyons régulièrement émerger, au sein de cette pratique, des moments de spiritualité chez nos patients.

Ainsi, il est fréquent que ces derniers nous parlent de ressentis indicibles qu’ils ont pu éprouver en méditant, d’expériences de fusion et d’appartenance, profondes et sans mots pour les décrire, au monde qui les entoure. De vécus d’apaisement allant au-delà de la simple suspension de leurs souffrances. De sentiments de redécouverte de leur esprit et de leur corps (car la méditation est grandement à l’écoute du corps) comme de redécouverte aussi de leur âme. Finalement, d’expériences de vie spirituelle, tout simplement !

Il y a là quelque chose de touchant bien sûr, mais aussi d’étonnant : laïcisée, codifiée, scientificisée, instrumentalisée, mise au (noble) service de la médecine et du soin, voilà la méditation qui, naturellement, revient vers ses racines spirituelles, et y ramène ses pratiquants réguliers. Voilà qu’après avoir été un remarquable outil qui les a aidés à marcher sur chemin de cendres de leurs souffrances et détresses, elle devient une compagne de route sur la voie de leurs interrogations existentielles. Voilà qu’après les avoir affranchis de la souffrance, elle les ouvre à leur vie intérieure et à ses mystères.

Comme une boussole revient toujours vers le Nord, la méditation, même laïcisée, même originellement pratiquée pour s’apaiser (en termes de souffrances) ou s’enrichir (en termes de capacités mentales, de maîtrise, de lucidité), nous ramène toujours vers la spiritualité.

La spiritualité, c’est tout simplement l’attention, le respect, l’humilité accordés à la vie de l’esprit, perçu comme chambre d’écho du monde, visible ou invisible. Non pour le maîtriser, cet esprit, non pour l’asservir, en faire un outil au service de nos ambitions, mais pour observer, s’incliner, recueillir, contempler, se tourner vers les mystères de la vie sans la certitude réponses claires. Je crois avoir lu un jour cette remarque attribuée au Dalaï-Lama : « Nous pouvons nous passer de thé, mais pas d’eau. Tout comme comme pouvons nous passer de religion, mais pas de vie spirituelle. »

La spiritualité peut parfaitement se vivre de manière laïque. Et aussi conduire à une qualité accrue de notre foi, si nous sommes croyants. C’est pourquoi de nombreux croyants viennent aujourd’hui à la méditation : car la seule foi ne suffit pas à guérir (elle est là pour sauver, pas pour soigner). Et ils s’en retournent ensuite, enrichis, apaisés, vers leur religion : car la seule méditation ne suffit pas à pleinement les nourrir…


PS : cet article a été initialement publié dans la revue La Vie durant l'été 2015.


Illustration : méditation au cimetière du Père Lachaise, par Karolina Sikorska, 2016.

lundi 9 mai 2016

Le pouvoir attracteur de la pleine conscience



Il se passe parfois de drôles de trucs lorsqu’on médite.

De drôles de trucs dans notre notre corps, dans notre tête, bien sûr. Mais aussi tout autour de nous…

L’autre jour, par exemple, une amie m'écrit ceci : « J'ai une petite histoire à te raconter. Comme tu le sais, je médite ; et de temps en temps je médite avec mon téléphone et ta voix... Je m'installe le plus droit possible assise en tailleur avec un plaid sur les jambes pour être plus confortable. Je choisis le thème selon mon humeur et mets mon téléphone sur haut parleur. Eh bien figure-toi que mon chat, dès qu'il entend le son de ta voix, arrive, s'installe confortablement en rond sur mes jambes et se met à ronronner... La première fois, cela m'a étonnée, car c'est un chat indépendant, et qu'il vienne de lui-même s'installer sur moi est exceptionnel... Donc j'étais partagée entre le petit bonheur que j'éprouvais à le sentir blotti contre moi, et le fait que mon esprit n'était plus tout à fait à ce que j'étais sensée faire : me concentrer sur ma respiration. Depuis j'ai accepté sa présence... et son ronronnement... et je médite. C'est quand même drôle cette histoire de chat qui apprécie la méditation ! Tu pourrais élargir ta cible : humains... et animaux ! Mais je plaisante, tu as déjà assez d'activités ;-) »

Je pense alors à une autre anecdote, racontée par un autre de mes amis alors qu’il apprenait la pleine conscience : « J’étais installé au salon, sur mon coussin, et je venais à peine de commencer mon exercice quand j’ai entendu la porte s’ouvrir doucement, et j’ai reconnu les petits pas de ma fille qui s’approchait doucement, se demandant ce que j’étais en train de faire. J’ai fait comme si je ne l’entendais pas, et après m’avoir observé, elle s’est assise précautionneusement à mes côtés, en m’imitant. J’ai résisté à l’envie d’ouvrir discrètement les yeux pour l’observer, et je n’ai rien dit : je trouvais ça touchant et très mignon, et j’étais content qu’elle vienne d’elle-même expérimenter la pleine conscience, comme ça, sans contrainte aucune… »

Et un souvenir encore plus lointain me revient alors, une petite histoire qui avait eu lieu un jour que nous étions sortis de Sainte-Anne avec un groupe de patients méditants pour une séance en plein air. C’était le printemps, il faisait grand beau temps, et nous avions marché jusqu’au Parc Montsouris, juste à côté de l’hôpital. Nous étions tous pieds nus dans l’herbe, dans un coin du parc, debout, les yeux fermés, à nous centrer sur toutes les sensations présentes. De temps en temps, j’ouvrais les yeux pour voir si tout était OK avec les patients. Et à un moment, je m’aperçois que deux jeunes filles inconnues nous avaient rejoints : elles s’étaient mises elles aussi pieds nus, debout les yeux fermés, et respiraient tranquillement à nos côtés, ivres des sensations de cette belle fin d’après-midi de printemps. Le temps que nous terminions l’exercice et que tout le monde rouvre les yeux, elles étaient reparties ; je n’ai jamais pu leur parler pour savoir ce qui les avait conduites à s’arrêter pour méditer avec nous.

C’est drôle ce pouvoir attractif des personnes qui méditent. Je me suis souvent demandé quel en est le mécanisme. Est-ce le bien-être que nous procure la proximité d’une personne ou d’un groupe calme, tranquille, apaisé ? Qui ne fait rien de particulier ni de compliqué, qui ne poursuit aucun but ? Ou bien s’agit-il d’une contagion, d’une extériorisation des deux grandes attitudes qui fondent la pleine conscience : être accueillant envers tout ce qui vient et qui compose notre expérience de chaque instant, et être bienveillant envers soi-même ? Ces deux manifestations de l’état d’esprit des méditants se perçoivent-elles intuitivement de l’extérieur ?

Car, tôt ou tard, tout ce que nous construisons au dedans de nous-même devient perceptible au dehors...


Illustration : Île d’Iriomote, Okinawa, 2000, par Gérard Rondeau (merci Passou).